« Que l’on me pende si je n’ai pas rêvé, je me demande si je n’ai pas trouvé l’amour au passage, celui qui rend fous les plus sages…», chante le beau Prince. Et, de l’autre côté de l’écran, l’on se demande si l’on n’a pas trouvé le film parfait. Celui qui fonctionne, comme Tintin, de 7 à 77 ans, celui qui émeut et fait rire, parle d’amour et aussi de trahison et d’inceste, qui enchante et fait chanter. Celui qui restitue instantanément son âme d’enfant à tout spectateur.
« La si-tu-a-ti-on mérite atten-ti-on », comme chante la fée des Lilas (Delphine Seyrig, la plus belle voix parlée du cinéma). Voilà un film qui, sorti il y a 50 ans, n’a pas pris une ride. Les années 70 sont là et aussi l’univers de Charles Perrault, et bel et bien celui de Jacques Demy, avec ses jeux de mots (« Dos d’âne ? ») et ses facéties (« Cette fille doit être fine pâtissière », pense tout haut la reine rouge, un doigt sur le menton ; se retrouvant en rêve les futurs époux font « tout ce qui est interdit » et de la buvette à la pipe (d’opium), en cachette, explorent tous les paradis, artificiels ou non), ses hommages (à La Belle et la Bête de Jean Cocteau, via les décors, l’utilisation des visages fardés, et, bien sûr, la présence royale de Jean Marais) et ses clins d’œil (la fée est jalouse et voyageuse dans le temps : l’un n’empêche pas l’autre après tout). Il y a la beauté inouïe de Catherine Deneuve, le port altier de Jean Marais, la voix de Delphine Seyrig, l’ironie de Micheline Presle, les bégaiement de Pierre Repp… Et le merveilleux perroquet qui chantonne « Ammmmourrr, ammmmmmouuurr ! » Et puis il y a la partition élégante et entraînante de Michel Legrand, les voix de Jacques Revaux, Christiane Legrand et Anne Germain : rarement voix chantées n’ont épousé à ce point la silhouette, le corps et le visage des acteurs.
Dans le château, les trônes sont de gros chats pelucheux, la robe couleur du temps (« c’est embêtant ») est aussi belle que la robe couleur de lune et pourtant Peau d’âne en demande une troisième, couleur de soleil ; une rose parle et montre le chemin (qui l’arrange), Peau d’âne se dédouble en princesse et chante à deux voix une recette de cake (immangeable) qui résout le conte, un anneau remplace la pantoufle de vair de Cendrillon pour faire défiler toutes les demoiselles de la cour, de la plus chenue à la plus menue. Et, comme le conte, le film se termine sur ces mots : « Tant que dans le monde il y aura des enfants, des mères et des mères-grands, on en gardera la mémoire. » Famille, transmission et bonheur partagé. La boucle est bouclée.