Pour son quatrième long-métrage comme réalisatrice, Anne Le Ny filme une rencontre, comme dans son premier, Ceux qui restent. Mais il n’y a pas de trouble du désir cette fois-ci entre les deux protagonistes, et pas d’ombre de la mort. On a failli être amies suit deux femmes qui, d’un échange professionnel, tendent vers l’amitié, via une circulation humaine qui les fait bouger toutes deux.
Orléans, ville moyenne. Deux femmes, la quarantaine. Marithé, travailleuse, volontaire, enthousiaste, œuvre dans un centre de formation. Elle accompagne celles et ceux qui ont besoin de (re)trouver un emploi, un aiguillage professionnel, une nouvelle énergie. Elle est séparée, et son grand fils va bientôt partir pour ses études. Carole, installée, bourgeoise, épicurienne, travaille à la tête d’une table étoilée de la région avec son mari qui en est le chef. Elle vient en douce faire un bilan de compétences et ne sait pas comment définir son emploi. Elle veut reprendre son envol et s’affirmer, enfin. La première va guider la seconde. Et s’investir plus que d’habitude…
Ce croisement humain est donc double : l’une a besoin d’un bouleversement professionnel et existentiel, et l’autre va y venir malgré elle. Comment le contact et l’échange font bouger les certitudes. Comment on s’ouvre des portes les uns aux autres. Comment on peut se révéler à soi-même. Comment on s’utilise malgré tout. C’est tout cela qu’aborde cette comédie lumineuse à la fibre humaniste.
L’écriture et la mise en scène de la cinéaste ont pris de l’ampleur. Sa finesse de ton se précise avec une construction subtile et sans cesse évolutive de ses personnages. Ils bougent dès lors qu’on croit leur avoir décelé une nouvelle direction. Tout est rupture. De comportements, de gestes, de réactions, de regards, de postures. C’est le cadre ouvert d’une ville à taille humaine et d’une campagne drue et apaisante qui les accueille, et la lumière, solaire et quotidienne à la fois, de Jérôme Alméras les accompagne avec bienveillance et chaleur.
Pour mener ce pas de deux, Anne Le Ny retrouve deux de ses précédentes actrices principales, Emmanuelle Devos (Ceux qui restent) et Karin Viard (Les Invités de mon père). Deux comédiennes en or, de la même génération. Deux natures, deux « stradivarius » qui n’aiment rien autant que plonger dans le travail, dans la recherche, dans l’expérimentation. Leur association enrichit puissamment l’incarnation de Marithé et Carole.
Quand l’une transmet sa force de conviction et sa vision solide, l’autre offre ses doutes et sa vulnérabilité. Quand l’une commence à douter et finit par « sortir d’elle-même », l’autre retrouve l’énergie de mettre un pied devant l’autre. A leurs côtés, un acteur au charisme généreux, Roschdy Zem. Il trouve là un emploi tout en assurance et sensibilité d’homme installé dans sa vocation et passeur de saveurs. La saveur, maître-mot de cette aventure au charme fou.