Un enfant aux yeux de lumière, venu d’on ne sait où, éblouit le quatrième long-métrage de Jeff Nichols. Un film fantastique irradiant.
Il ne parle que de ça : la famille menacée. Le cinéma exorcise les angoisses de sa destruction. Jeff Nichols, 37 ans, a grandi heureux, il vieillit avec la peur du jour où, dit-il, « la catastrophe éclatera ». C’est la peur d’un homme devenu père, la peur de la perte. Après le méconnu Shotgun Stories (2007), le foudroiement mental de Take Shelter (2011), la fable limpide de Mud (2012), sur les rives du Mississippi, Midnight Special déploie son récit fulgurant où la douceur de l’enfance se cogne à l’infrangible cruauté du monde adulte.
Le petit héros de Midnight Special (l’incroyable Jaeden Lieberher) n’est pas n’importe quel enfant. Il n’est pas comme les autres, avec ses yeux de soleil aux pouvoirs hypnotiques, surnaturels, surpuissants, agissant sur les hommes et les machines, sur la terre et le ciel. C’est un enfant de la nuit que le jour menace et détruit, que le soleil consume, un petit garçon étrange, mystérieux, à la douceur incertaine, dont on ne sait dire d’abord s’il est dangereux ou simplement extraordinaire. Il est à la fois fort et faible, une secte qui l’a pris pour un dieu avant l’apocalypse annoncée l’a kidnappé, des hommes s’enfuient avec lui, son père (Michael Shannon) et un de ses amis (Joel Edgerton).
Il est assis tranquillement à l’arrière de leur bolide qui fonce dans la nuit noire, tous feux éteints, et Midnight Special s’ouvre par une folle course-poursuite, dont l’urgence sombre ne cessera de conduire tout le film, depuis l’enlèvement douloureux de l’enfant jusqu’à sa libération lumineuse et fantastique, impossible à dévoiler. Où est-on ? Où va-t-on ? : le scénario puzzle, méticuleux et précisément structuré, agrège au fur et à mesure ses pièces, sous la forme d’un thriller SF conspirationniste, dont toute la trajectoire tient jusqu’au bout le suspense. La police, le FBI, la NSA, la secte : tous veulent retrouver l’enfant à part et le traquent.
Tout a commencé par une maladie d’enfant. Son enfant. Et avec cette souffrance, le sentiment d’une impuissance et d’une étrangeté, face à son corps malade. Tout a commencé ainsi, pour Jeff Nichols : l’expérience de la paternité et sa confrontation à l’altérité de l’enfant que l’on a mis au monde, et qui, à partir de là, ne cesse de grandir avec soi, mais aussi en dehors de soi, dans l’apprentissage et l’expérience de sa liberté. L’enfant s’échappe toujours, l’histoire de chaque homme s’émancipe avec son propre destin, sur lequel aucun parent ne saurait avoir pleinement prise. L’extraordinaire, chez Jeff Nichols, est de faire de cette expérience personnelle, au fond banale, de la maladie de l’enfant, un film aussi plein et déroutant que Midnight Special, à l’irréalité à la fois douce et brutale. Ce quatrième long-métrage, avec son enfant irradiant venu d’ailleurs, sa dimension de conte fantastique, au-delà du normal, parle de la paternité avec éblouissement.