La densité du nouvel opus d’Hirokazu Kore-eda envahit la mémoire. Le réalisateur japonais a le don de filmer des récits simples en apparence, mais complexes par leur richesse humaine. Avec, une nouvelle fois, l’enfance au cœur.
La délicatesse du cinéma de Hirokazu Kore-eda n’est plus à démontrer. Au fil du temps, son œuvre se nourrit de chacun de ses films, et s’enrichit de nouvelles strates. La finesse d’écriture et du regard n’empêche ni la frontalité, ni la dureté. Le monde décrit est toujours traversé par la violence, sociale ou comportementale. Mais la bienveillance prime inlassablement, dans la faculté d’accompagnement des personnages par le cinéaste, et dans l’écrin que leur réservent les récits. Justes dans leur distance, et complexes dans leur humanité. Les trajets existentiels ne sont pas de tout repos. C’est le cas, aujourd’hui, avec les enfants de L’Innocence. Le titre international est Monster. Deux significations à deux extrêmes opposés, mais, de l’innocence à la monstruosité, les frontières restent parfois poreuses, tant les actes ne tiennent qu’à un fil, et à une perception près.
Le scénario de Sakamoto Yuji explore les méandres de l’enfance, dans toute sa part mystérieuse. L’opacité des motivations des protagonistes reste totale, et l’ambiguïté des rapports humains apparaît petit à petit, des gosses aux adultes. La subtilité narrative repose sur les points de vue successifs, répartis par chapitres, qui décalent chaque fois les jugements, pour finalement laisser la complexité l’emporter. La non-résolution rationnelle des conflits se double d’une épaisseur humaniste. L’Innocence raconte avant tout la rencontre formatrice entre des êtres, qu’elle soit harmonieuse ou chaotique. Leur échange motive l’action et les réactions. L’auteur de Nobody Knows (2004), Tel père, tel fils (2013) et Une affaire de famille (2018) s’épanouit de nouveau un peu plus dans une épopée existentielle, qui imbrique la description sociétale et le romanesque aventurier, l’amour familial et le désir, qui ne dit pas encore son nom.
S’il n’a pas créé lui-même le script, pour la première fois depuis son premier long-métrage Maborosi (1995), Kore-eda a suivi toutes les étapes d’écriture, en se concentrant ensuite sur sa mise en scène. Une osmose a eu lieu. Elle prend forme à l’écran, unissant l’aridité apparente du sujet et son lyrisme souterrain, via la fluidité discrète de la caméra. L’empathie diffusée par le film a débouché sur un accueil enthousiaste au Festival de Cannes, orné du Prix du scénario et de la Queer Palm. L’émotion gagne aussi les images, grâce à l’ultime bande originale composée par Ryūichi Sakamoto. disparu en mars dernier. Outre ses créations personnelles, il aura accompagné quarante ans de cinéma depuis Furyo de Nagisa Oshima, du Dernier Empereur à Talons aiguilles, de Tabou à The Revenant. Il délivre ici une finesse mélodique bouleversante, en accord avec la densité subtile de la narration et de la réalisation. Du grand art.