Depuis le dernier festival de Locarno (été 2017), Winter Brothers, premier film de Hlynur Pálmason, ne cesse de rafler différents trophées, récemment encore le Grand Prix à la dernière session de Premiers Plans d’Angers, décerné par un jury éclectique présidé par l’impériale Catherine Deneuve. Qu’a donc de si singulier l’œuvre de ce trentenaire islandais issu des arts plastiques, puis devenu étudiant de cinéma au Danemark ?
Dès les premières images, Winter Brothers cherche à capter l’attention. À tâtons dans les profondeurs d’un sous-sol anthracite, le spectateur accompagne une équipe de mineurs, dont le labeur épouvantable est dédié à une extraction indéterminée. Le réalisateur vise d’emblée l’entrechoc du réel et de l’abstraction, prétexte à une expérimentation visuelle et sonore. Lorsque résonne la pause déjeuner, les hommes remontent éreintés à la surface, en plein jour : le silence des décors forestiers environnants sous une neige immaculée est bousculé par les grincements de l’usine de calcaire dont la poussière recouvre les ouvriers des pieds à la tête. Tous ont l’allure étrange d’un fantôme mâchouillant son sandwich.
Alors qu’il esquisse le portrait de deux frères enchaînés au turbin, Hlynur Pálmason soutient son procédé esthétique, avançant graduellement les pions d’une sorte de dogme audiovisuel renouvelé, où sa sensibilité fusionne avec celle de sa directrice de la photographie, Maria von Hausswolff. Nous sommes conduits ainsi par un monstre à deux têtes, gardien d’une réalité infernale et paradoxalement pastel, sculpturale, quasi ornementale. Le film focalise sur l’un des deux frères, Emil, grand échalas moche avec un air idiot, vendeur de gnôle sous le manteau, qui se rince l’œil du reflet nu d’Anna, tel un Quasimodo transi inconscient des conséquences de ses moindres gestes. Elliott Crosset Hove, qui en est l’interprète – sacré meilleur acteur à Locarno -, ne vient pas de nulle part. Fils d’acteur, lui-même sorti de l’école nationale de l’art performance du Danemark, comédien de théâtre émérite, il donne pleine mesure à l’air ahuri et souffrant de son personnage. Pálmason a par ailleurs confié l’ensemble de sa distribution à des professionnels aguerris, dont le jeu épuré est sublimé par la musique électro polaire de Toke Brorson Odin. Au gré de son intrigue assez fluette, le réalisateur crée ainsi une succession de situations qui convergent à la scène spectaculaire d’un combat masculin, dont l’exubérance n’est pas sans rappeler celle de Ken Russell et de Love (1969). Personne ne saurait bouder la source volcanique de créativité de Winter Brothers, film exigeant aux contours glacés.