Discrètement envoûtante, cette découverte venue du Cambodge relie le passé au présent, pour mieux envisager un futur possible. Avec une émouvante tonalité douce-amère.
Distingué par sa sélection à la Mostra de Venise 2021, section Orizzonti, où le jeune Piseth Chhun a reçu le prix du meilleur acteur, White Building apporte une nouvelle belle pierre au renouveau du cinéma cambodgien. Son auteur trentenaire Kavich Neang affiche un volontarisme inclusif en donnant à voir son pays dans toute sa diversité. Sont ainsi réunis dans son récit le passé et le présent, les hommes et les femmes, les jeunes et les anciens, la ville et la campagne, la capitale et la province, la tradition et la modernité. Jamais exempt d’une mélancolie émouvante, le film emprunte aussi la voie d’une résistance à la résignation ambiante, héritée des traumas de l’ère khmère rouge, de la globalisation galopante, et de l’hégémonie économique des voisins japonais, chinois ou malais.
Son héros de vingt ans Samnang incarne donc une nouvelle voie possible, qui regarde, questionne, et ose affronter les tabous d’une société sous le joug des aînés. C’est une jeunesse nourrie de rêves, en quête de dépassement d’une condition populaire et d’un déterminisme muet. L’énergie du hip-hop et de la danse urbaine se mêle aux déambulations en scooter, pour cette masse juvénile dominante dans le pays. Comme dans le premier long français récent Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, l’œuvre raconte aussi la fin d’une époque, que la destruction prochaine d’un immeuble délabré, mais plein d’une communauté vibrante, cristallise avec une fatalité poétique. La caméra balaie l’édifice par un beau travelling aérien en plongée en ouverture du film, pour finalement laisser sa démolition dans une ellipse de montage.
Entre les deux, l’aventure respire par sa langueur, en contrepoint de la vitesse mondialisée. Neang et son scénariste Daniel Mattes ont finement rythmé le fil dramatique par trois chapitres. L’inaugural et le final, plus courts, entourent, tels un prologue sur un espoir de la jeune génération et un épilogue sur une échappée incertaine, la partie centrale consacrée à la vie familiale et collective dans le fameux bâtiment blanc. Tout le travail formel, des images de Douglas Seok à la musique de Jean-Charles Bastion, contribue à la tonalité douce-amère de ce second long-métrage discrètement envoûtant. À noter également qu’il est produit par Davy Chou, réalisateur du magnifique film cousin Diamond Island, et coproduit par Jia Zhang-ke, cinéaste attaché au filmage des disparitions en marche dans notre monde moderne.
Olivier Pélisson