Vivre

Avant le grand départ

Lorsque Mr Williams se découvre mourant, ce fonctionnaire jusqu’alors éteint cherche la façon la plus utile d’occuper le temps qui lui reste. Remake fidèle du film japonais d’Akira Kurosawa, dont l’intrigue originelle est ici transposée dans le Londres des années 1950, Vivre met en scène « le charme britannique » avec brio.

À première vue, Mr Williams est sans surprise. Il semble même faire partie des meubles de la mairie où il travaille depuis des décennies, tant sa routine et ses réactions se révèlent prévisibles. Aussi, lorsqu’il quitte un soir son poste plus tôt que d’habitude et ne se présente pas à l’heure attendue le lendemain, c’est l’étonnement. Les questions fusent : a-t-il eu un accident ? Faut-il appeler la police ? Quand Mr Williams préfère les joies de la ville à la pesanteur de l’incurie administrative de son service, son comportement dérange.

Ce que personne n’a compris, c’est que Mr Williams a simplement changé. Depuis qu’il se sait condamné, il veut (re)donner une certaine noblesse à ses actions. Il s’agit pour lui de gagner un maximum de batailles, à commencer par la construction d’une aire de jeux à laquelle ses supérieurs s’opposent. Celui qu’on surnommait « Mr Zombie » fait preuve de plus en plus d’humanité, se mettant à supplier son patron pour la bonne cause et taisant sa maladie par amour pour ses proches.

Copyright : Metropolitan FilmExport

Si la transformation salvatrice du héros éprouvé est un ressort scénaristique conventionnel, il est en revanche moins fréquent de regarder une histoire autant empreinte de « flegme ». Outre l’allure distinguée du personnel de bureau à laquelle la série Mad Men nous avait déjà habitués, ce sont leurs répliques pudiques et élégantes que nous gardons en mémoire. Une qualité d’écriture à attribuer au brillant auteur britannique d’origine japonaise Kazuo Ishiguro (Les Vestiges du jour), prix Nobel de littérature 2017.

Usant subtilement d’expressions minimalistes, Bill Nighy (Mr Williams) incarne magistralement l’apathie existentielle et le sentiment d’être éloigné de tous, y compris de lui-même. À l’exception d’une collaboratrice, Mrs Harris, chaque personnage se retrouve engoncé dans le costume froid de sa profession.

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Pourtant, en dépit du comportement de ces gentlemen et face à la simplicité de l’intrigue, nul ennui ne nous gagne. Grâce au travail exceptionnel du chef- opérateur et du Technicolor, tout corps, illuminé d’une enveloppante chaleur, attire notre œil. Notre oreille est suspendue aux notes de musique classique, omniprésentes et exprimant avec ferveur les émotions réprimées par les non-dits des dialogues.

De cette œuvre formellement réussie, un charme mystérieux se dégage. Portes ouvertes vers la contemplation ou l’inconscient, certains paysages extérieurs (l’aire de jeux enneigée) et intérieurs (les souvenirs de Mr Williams) nous accompagnent toujours après la fin du film.

Hélène Robert