Dans les années 1990, Sammy aime Emma, mais tombe secrètement amoureux de Cyril. Pour son retour au cinéma, l’acteur-réalisateur Gaël Morel raconte l’histoire d’un amour libre et subtil au sein d’un trio soudainement disloqué par l’arrivée du sida. Vivre Mourir Renaître est, à ce jour, certainement son plus beau film.
Vivre Mourir Renaître s’ouvre sur une fête techno, symbole d’insouciance des années 1990, où évolue un jeune couple, Emma et Sammy. Un jeune vendeur de drogue propose à Emma un ecstasy, au gré d’un baiser langoureux. Cette dernière n’est pas choquée quand le dealer fait de même avec son compagnon. Sammy saisit d’ailleurs l’occasion de confier à Emma qu’il a déjà rencontré d’autres garçons par le passé. Ce trio éphémère intersexué est une sorte de préfiguration d’une histoire à venir, moins fugace, beaucoup plus poignante…
C’est un grand plaisir de retrouver l’acteur-réalisateur Gaël Morel derrière la caméra. Depuis son premier film, À toute vitesse (1996), Après lui avec Catherine Deneuve (2006) ou New Wave (2008), on connaissait sa simplicité de ton, son humilité, son goût pour l’ambiguïté de certains thèmes, mais aussi une certaine fougue et un lyrisme très personnel, un équilibre difficile à mener, un pari tenu avec plus ou moins de bonheur dans ses films précédents. Il est passé ensuite par la télévision (un documentaire, Famille tu me hais en 2020, puis un téléfilm, Constance aux enfers en 2022). Sept années se sont ainsi écoulées depuis Prendre le large avec Sandrine Bonnaire (2017) avant qu’il ne revienne véritablement au cinéma : il aura mis cette durée à profit pour se concentrer sur ses fondamentaux, se remémorer sa propre histoire du haut de ses cinquante-deux ans, s’inspirer notamment de sa jeunesse bouleversée comme tant d’autres par l’arrivée fracassante du sida et offrir à présent ce film au titre sublime, Vivre Mourir Renaître. Il renoue aussi avec l’histoire d’un trio, lui qui fut découvert en tant qu’acteur à dix-huit ans par André Téchiné dans le fondateur et somptueux Les Roseaux sauvages, où il incarnait l’amoureux d’un beau garçon, lui-même en couple avec une jeune fille (Stéphane Rideau et Élodie Boucher). Avec Vivre Mourir Renaître, Gael Morel utilise ainsi cette même image radieuse, celle d’un triangle amoureux pour le conjuguer au drame. La rencontre de Sammy (Theo Christine, très émouvant) avec Cyril (feutré et intense Paul Belmondo) dresse la courbe ascensionnelle d’un amour irrépressible, joyeux et enfantin, en même temps qu’il reste inavoué.
Il est par ailleurs assez étonnant de voir comment Gaël Morel parvient à modeler l’éclosion de ces désirs passionnels, usant d’ellipses, d’un montage rythmé et de mélodies omniprésentes galvanisantes, jamais superfétatoires (la « Valse romantique » ou « Rêverie » de Claude Debussy et aussi « Modern Love » de David Bowie, tel un clin d’œil au Mauvais Sang de Léos Carax). Ce mélange esthétique exprime une douceur triste à la réalité marginale du couple des garçons malgré l’évidence désarmante de leur union. Celle-ci se brise d’autant plus violemment que Cyril avoue être porteur du VIH et qu’Emma (Lou Lampros, impeccable d’énergie) est témoin involontairement de leur secret. Face aux révélations du drame, le récit est l’enjeu d’une prise de conscience adulte des personnages, parfaitement documentée sur la maladie et abordée d’un point de vue intime par Gaël Morel. Alors que certaines participations (très belles apparitions d’Amanda Lear et d’Elie Medeiros) accréditent l’esprit libre d’une époque révolue, les personnages se débattent désormais aux frontières de la mort dans un élan désespéré de ténacité, de courage et de beauté morale, avant d’y trouver la résolution de leurs destinées, voire de leurs renaissances. Le spectateur reste captivé par ce message, les oreilles emplies des notes de « La Mélancolie » de Georges Delerue irrigant la dernière partie du film, le cœur serré et meurtri. Gaël Morel utilise la musique tel un organe fondamental de son cinéma, le poumon de son film. Et si Douglas Sirk, souvent cité par Godard, aimait à dire que le choix d’un bon titre était déjà en soi une grande partie de la réussite d’une œuvre, Vivre Mourir Renaître porte très haut le flambeau de ses qualités.
Olivier Bombarda