Les Vieux Fourneaux
Adapté de la bande dessinée culte de Lupano et Cauuet, un premier film qui croque à pleins dentiers la vie qui reste.
La règle est simple, enseignée dans toutes les écoles de journalisme : l’emploi de la première personne est prohibée, sauf en cas de témoignage. Mais parfois, rarement, pour une cause légitime, cette loi peut être enfreinte. Ainsi du premier film de Christian Duthuron, Les Vieux Fourneaux. Comme son titre l’indique, c’est une histoire de vieux. Je me suis donc portée volontaire, en qualité de témoin qualifié pour en rendre compte. Et je vous le dis d’emblée : illustrant l’adage selon lequel c’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe, le film est porté, emporté par un trio de comédiens au sommet de leur talent buriné, irrésistibles de fraîcheur et d’énergie, d’empathie communicative aussi pour leurs personnages de (très) vieux gamins ingérables.
Il était une fois trois amis d’enfance, trois amis d’endurance ayant tout partagé, les bons et les mauvais moments, les coups à boire et les coups du sort. Mimile (cette « vieille canaille » d’Eddy Mitchell), est désormais pensionnaire de la maison de retraite Meuricys (la bien nommée), Pierrot (Pierre Richard) défini comme « anarchiste énervé » est toujours énervé (surtout au volant) et Antoine (Roland Giraud) vient de perdre sa femme Lucette. Occasion – si l’on ose dire – de reconstituer la ligue amicale dissoute. Mais après les obsèques, le notaire délivre à Antoine une lettre de la défunte qui le rend fou. Elle aurait eu une liaison avec l’horrible patron de l’usine pharmaceutique qui l’a licenciée, Garan-Servier (patronyme bien choisi !). Antoine se saisit alors d’un fusil et dit partir pour la Toscane régler ses comptes caduques. Pierrot, Mimile et Sophie, la petite-fille de Lucette et Antoine, très, très enceinte (délicieuse Alice Pol), se lancent alors à la poursuite du papy flingueur pour l’empêcher de commettre un crime passionnel cinquante ans après les faits… présumés. Lorsque les ancêtres survoltés entament leur road trip improbable, ils caressent en fait un projet très beau et très universel, que les acteurs illustrent avec une très touchante ferveur : rire encore, faire encore des conneries, en somme, vivre encore avant le dernier voyage. Pour l’heure, les péripéties de leur joyeuse expédition punitive ont tendance à s’alanguir un peu, à se répéter même, avant la rencontre tardive et brève avec le méchant patron (grandiose Henri Guibet), dont la première réplique, pour le moins inattendue, est : « Je peux vous offrir une madeleine ? ».
Certes, la bande dessinée originelle (Dargaud), vendue à plus d’un million d’exemplaires, riche désormais de cinq albums, et dont le scénariste Wilfrid Lupano a participé à l’adaptation de son œuvre, se montre plus radicale, plus cruelle parfois, en raison surtout du trait hyperréaliste de Paul Cauuet. Plus drôle aussi par son sens sans filtre de la caricature. Mais le film de Duthuron, modeste finalement, et sincère, tient vaillamment la route grâce à son casting vintage de très haut vol. « La vieillesse est un naufrage » ? Eh bien, pour une fois, non. Je vous le répète, dans Les Vieux Fourneaux, la vieillesse ne fait pas son âge…