Dick Cheney fut le vice-président le plus influent des États-Unis. Cette fiction sillonne sa vie, son œuvre avec brio. Il faut dire que Christian Bale est sidérant dans ce film, drôle à pleurer…
Pour jouer une personne publique, il faut quelqu’un qui fasse oublier sa propre image et celle de son double. Il faut que tout, de la réalité, s’efface devant l’incarnation qu’en fait l’acteur… Et Christian Bale, qui passe allègrement de fétu de paille (l’insomniaque décharné de The Machinist de Brad Anderson en 2004) à super-héros (Batman Begins de Christopher Nolan en 2005 et ses suites) et retour (le toxico squelettique dans Fighter de David O. Russell, 2011), mais qui, au-delà de ses impressionnantes capacités transformistes, parvient à habiter littéralement ses rôles au point de s’effacer, était l’homme de la situation. Donc des dizaines de kilos en plus, une calvitie, des lunettes, et voici Christian Bale non pas en sosie de Dick Cheney, mais, encore plus fort, en incontestable projection sur grand écran de ce républicain du Wyoming qui fit ses classes auprès de Donald Rumsfeld et devint « sans que personne ne bronche » l’homme le plus influent des États-Unis sous la présidence de George W. Bush. En préambule, l’auteur réalisateur, Adam McKay, prévient que Dick Cheney est sans doute la personnalité politique la plus énigmatique, la plus difficile à approcher et à comprendre, et de conclure : « Mais putain, on a bossé ! ». Ceci étant posé, à grand renfort de voix off et de mauvais esprit façon Michael Moore, le film avance comme un biopic, mais sans l’hagiographie inhérente au genre. Vice est le portrait sans concession d’un homme intelligent et extrêmement ambitieux, soutenu par une épouse pourvue des mêmes qualités, Lynne, ici incarnée sans limites par Amy Adams. La clé de l’énigme est sans doute à chercher du côté de la patience inébranlable d’un homme par ailleurs pêcheur à la mouche ! En tout cas, Adam McKay, celui-là même à qui l’on doit quelques comédies navrantes, dont Frangins malgré eux et autres Very Bad Cops avec Will Ferrell, après un film glaçant et hilarant sur des traders fous ayant spéculé sur la crise des subprimes (The Big Short : le casse du siècle, 2015) réalise un autre tour de force : nous instruire avec intelligence et humour sur la success story la plus dramatique que l’Amérique ait connue ces dernières années.