Convoquant une fois de plus son double Giovanni, Moretti raconte le monde comme il va (mal) et le cinéma, qui sauve de (presque) tout. Avec une infinie croyance en son pouvoir.
Au vu de l’affiche le représentant sur une trottinette électrique et qui fait référence à Journal intime et Aprile, où il chevauchait une Vespa, on pourrait croire à un retour à l’autofiction minimaliste de ces deux films. En réalité, Vers un avenir radieux (en VO, le titre Il sol dell’avvenire est emprunté à une chanson militante italienne) est un film gigogne plus ambitieux qu’il n’y paraît. Il allie constat d’échec et comédie, avec en son centre le personnage incarné par Nanni Moretti, qui s’appelle Giovanni, comme il fut jadis Michele Apicella (de Je suis un autarcique en 1975 à Palombella Rossa en 1989 ; à l’exception du Don Giulio de La messe est finie).
Nanni Moretti incarne donc, avec délice, ce cinéaste bougon et insupportable. Sa fille et désormais compositrice a un amant polonais qui a trois fois son âge, elle en a marre de ses lubies et de ses rites. Regarder en famille Lola de Jacques Demy à chaque veille de premier jour de tournage, même si ce n’est que tous les cinq ans, fût-ce en mangeant de la glace, ne recèle plus les mêmes saveurs. Quant à Paola, son épouse et productrice depuis quarante ans, elle voit en cachette un psy, car elle veut quitter à la fois l’homme et le cinéaste… comme quoi il n’est pas toujours possible de séparer les deux ! Margherita Buy l’incarne avec son air de ne rien faire, magnifique de patience usée. Elle éblouit ici encore, pour la cinquième fois devant la caméra de Moretti, après notamment Mia madre, ce chef-d’œuvre. Quant à Giovanni, affichant de solides certitudes, alors que le doute l’assaille de toutes parts, il essaie de tourner une chronique située au cœur de la section locale Antonio Gramsci du parti communiste italien en 1956, au moment de l’invasion soviétique à Budapest. Mais son actrice principale (Barbora Bolubova) insiste pour lui prouver qu’il tourne en réalité une histoire d’amour. Toutes ses croyances sont mises à mal, que ce soit sur le plan politique, cinématographique ou personnel. Colmatant ses crises de mélancolie par des chansons italiennes (ainsi qu’un hit de Joe Dassin !), qui viennent insuffler un peu de lumière dans ce constat désenchanté, Moretti déclenche aussi le rire par ses positions fermes, voire fermées sur l’art. Visitant le plateau d’un jeune réalisateur que son épouse produit, il interrompt le tournage et parle (merveilleusement), en invoquant Tu ne tueras point de Kieslowski, de la violence au cinéma, de sa nécessité et de sa morale. Puis, son coproducteur français (Mathieu Amalric) étant criblé de dettes, celui-ci décroche le Graal : un rendez-vous avec des pontes de Netflix, qui décortiquent les minutages et moments clés dans une scène hilarante. Fidèle à sa manière, à sa matière, Moretti livre une œuvre pleine, revitalisée, comme un condensé de ses treize films précédents. Souvent interrogé au sujet de sa passion du 7e art, ce metteur en scène, scénariste, acteur, producteur, et exploitant d’une salle à Rome, appuie à chaque fois sur le fait qu’il est aussi, depuis toujours, un spectateur. Voilà un homme qui pense cinéma, respire cinéma, vit cinéma. Pour notre plus grand bonheur.