Face aux obstacles, qui courbe l’échine, et qui relève la tête ? Quels hommes, quelles femmes pour défier l’impossible ? Une vie sonne le glas, tout en insufflant un espoir très nécessaire aujourd’hui.
En 1988, l’émission britannique très populaire That’s Life! dévoile une histoire remontant à 1938 et révèle la présence dans le public d’un invité, un certain Nicholas Winton, ayant joué un rôle central dans le sauvetage de centaines d’enfants juifs, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, alors que Prague est sur le point de tomber aux mains des nazis. Le vieil homme ne se doute pas que, tout autour de lui, se trouvent les enfants – désormais adultes – qui ont survécu grâce à lui… L’extrait de cette émission, devenu viral ces dernières années sur Internet, soulève des torrents d’émotion aux quatre coins du monde, et notamment chez les producteurs Emile Sherman et Iain Canning, qui viennent juste de créer leur société de production. Quinze ans plus tard, à partir de l’ouvrage de Barbara Winton, fille de Sir Nicholas Winton, et de nombreux témoignages, Lucinda Coxon (The Danish Girl de Tom Hooper) et Nick Drake (écrivain et poète), le scénario est terminé. Les producteurs le confient à James Hawes, le réalisateur de Slow Horses saison 1 et de plusieurs épisodes de Black Mirror. Une vie est son premier long-métrage.
De flash-back en flash-back, les pièces du puzzle trouvent leur place. Londres, 1988. Anthony Hopkins incarne le très humble Winton à un âge avancé, plus hanté par les enfants qu’il n’a pas réussi à sauver que par le succès de la mission entreprise à l’époque. Prague, 1938. Doreen Warriner (Romola Garai), Trevor Chadwick (Alex Sharp) et Martin Blake (Ziggy Heath) travaillent au sein du Comité Britannique pour les Réfugiés en Tchécoslovaquie. Par conviction humaniste, un jeune employé de banque londonien, Nicholas Winton (Johnny Flynn, qui s’est inspiré de la performance d’Anthony Hopkins pour pouvoir le jouer plus jeune), pose quelques jours de congé pour se rendre à Prague. D’origine juive allemande, mis au courant par son ami Martin, il décide de venir “aider”, d’une manière ou d’une autre, le Comité Britannique, dont les maigres moyens, face à la situation catastrophique, rendent toute action difficile.
Dès les premières images, l’idéalisme et le pragmatisme du jeune Nicholas Winton sautent aux yeux. Les cadrages très serrés reflètent le choc psychologique vécu par les témoins d’un cataclysme en devenir, et de la terreur des réfugiés ayant dû fuir l’invasion ordonnée par Hitler. Une vie est un plongeon en apnée dans les eaux troubles de la guerre et des conséquences inhumaines qu’elle génère. La caméra à l’épaule nous met face à la réalité des camps de réfugiés improvisés dans les rues glaciales de Prague. Suivant l’adage “Save one life, save the world”, Winton propose à ses camarades de lutte de chercher à obtenir des visas britanniques et d’exfiltrer le plus d’enfants possibles. Commence une course effrénée contre la montre face à une administration kafkaïenne, paniquée, et dépassée par l’ampleur du désastre nazi qui s’annonce. Avec l’aide de sa mère (Helena Bonham Carter, parfaite comme toujours), qui harcèle les décisionnaires des hauts cabinets politiques de Londres et tente de trouver des familles d’accueil pour les enfants, Nicky va soulever des montagnes avec l’énergie du désespoir. Maureen, Trevor et Martin assurent la logistique. Nicholas, photographe amateur à ses heures, va documenter toute l’opération et réunir les noms, les détails et les visages des enfants dans un grand album photo.
Alors, que vaut une vie, et que vaut Une vie ? La restitution historique, nourrie par des stocks d’archives et des témoignages d’une grande richesse, est d’une précision glaçante et vertigineuse. Les décors de la chef décoratrice Christina Moore, les costumes de Joanna Eatwell, et l’image de Zac Nicholson sont impeccables. Si la mise en scène reste classique, elle laisse la place aux enjeux qu’elle sert. La reconstitution de l’émission That’s Life en présence des vrais survivants et de leurs descendants est bouleversante. Les acteurs sont d’une immense justesse. Seul bémol, peut-être, la musique de Volker Bertelmann (Oscar pour À l’Ouest, rien de nouveau en 2023). Le compositeur, à vouloir créer un équilibre entre la retenue du récit et ses aspects dramatiques, bascule malgré lui dans une partition dont le pathos mélodramatique est parfois trop présent.
On pense au Choix de Sophie. On pense à La Liste de Schindler. On pense à ce qui se passe aujourd’hui dans le monde. Et à tous ceux et toutes celles qui, au péril de leur existence, luttent contre l’indignité à travers les époques. Plus de six mille personnes (survivants et descendants) sont en vie aujourd’hui grâce à l’opération de sauvetage de Prague. Film ambitieux et essentiel, Une vie nous rappelle que rien n’est impossible. Il est question ici de devoir de mémoire, de trajectoires humaines et psychologiques complexes, d’amitié et, enfin, de notre humanité dans ce qu’elle offre de plus miraculeux et de plus émouvant.