Une part manquante de Guillaume Senez

Il est des liens vitaux qu’on ne détruit pas

Le troisième long-métrage de Guillaume Senez creuse son sillon, nous embarque en terres nippones et explore le lien filial sous un angle captivant.

On se souvient du choc qu’avait provoqué en nous son premier long-métrage, Keeper. Guillaume Senez y filmait un couple d’adolescents désireux de garder le bébé que la très jeune fille attendait. Sous la pression de leur entourage, ces amoureux faisaient front, envisageant un avenir à trois malgré leur jeune âge. Devant la caméra de Guillaume Senez, Galatéa Bellugi et Kacey Mottet Klein, solaires, atteignaient un degré de justesse bouleversante, en parfait équilibre entre insouciance et gravité.

Dans Nos batailles, son deuxième long-métrage, le réalisateur envisageait Romain Duris dans le rôle d’un père qui, un beau jour, se retrouve seul avec ses enfants, sa femme ayant pris le large sans crier gare. On suivait ainsi le combat de cet homme dans son double cadre professionnel et domestique, soutenu par des personnages féminins, sources de comédie. Là encore, la lumière l’emportait.

Avec Une part manquante, Guillaume Senez s’embarque en terres nippones, et imagine, accompagné de son scénariste Jean Denizot, l’histoire d’un père français privé de sa fille depuis sa séparation avec sa mère japonaise. Car, au Japon, lorsqu’un parent part avec un enfant, la justice ne reconnaît ni la garde partagée ni le droit de visite ; c’est le premier (la mère, la plupart du temps) qui l’emporte, tenant à l’écart l’autre parent jusqu’à la majorité de l’enfant.

Une part manquante de Guillaume Senez - Copyright Les Films Pelleas - Versus Production

C’est dans ce contexte d’une violence sourde inouïe que le cinéaste vient creuser son sillon, et sonder une fois encore (le sujet est inépuisable) la question du lien filial, de ce qui nous unit à vie, nous transforme, nous rend fort et vulnérable à la fois. À nouveau accompagné de Romain Duris dans le rôle de ce père meurtri et obstiné, devenu chauffeur de taxi pour mieux sillonner Tokyo en quête de sa fille, le cinéaste sculpte des émotions qui nous habitent et nous dépassent. On comprend ce qui profondément l’anime, et Romain Duris épate une fois encore dans ce rôle, naviguant entre maîtrise (quel boulot d’apprendre des dialogues et même d’improviser en japonais !) et abandon, sous la direction d’un réalisateur avec qui il semble bâtir un beau duo de chercheurs.

Si le récit flotte un peu parfois dans sa première partie, il se densifie dans la deuxième et fait émerger des séquences très émouvantes. Derrière la caméra, Guillaume Senez et sa cheffe-opératrice Elin Kirschfink (Camille, Les Jeunes Amants…) scrutent les regards intenses, constamment aux aguets, de Romain Duris dans son rétroviseur, dosent l’ombre et la lumière (du jour, la plupart du temps), l’immobilité et le mouvement – donc l’espoir en marche – qu’induisent les séquences en voiture, et se font ainsi les explorateurs de nos vies chahutées par tant de paradoxes. Avec toute leur équipe, ils réalisent un film sobre, captivant, touchant et profondément humain.

 

Anne-Claire Cieutat