Depuis Hitchcock et le bien-nommé Soupçons, nombre d’œuvres se sont penchées sur la conviction de la culpabilité d’un proche. Que le personnage incriminé soit ou non coupable importe assez peu au final. La mécanique du récit tient au développement du doute dans l’œil de l’amant, de l’ami ou du parent.
Dans Une part d’ombre, délicieux détournement de thriller signé Samuel Tilman, cette déconstruction de l’innocence touche David, un jeune père de famille confronté à un fait divers et à ses conséquences.
Dès l’ouverture, David, interprété avec maestria par le très intense Fabrizio Rongione, est présenté comme un mari attentionné, un ami dévoué, un père attentif et même un sportif accompli. Un homme auquel on a donc envie de croire. Le protagoniste en question part courir en forêt, une fin d’après-midi, au terme d’un week-end vosgien. Il est vu indiquant son chemin à une femme que l’on retrouvera morte quelques heures plus tard. En l’espace d’une poignée de jours, il passe de témoin à suspect, et enfin à coupable idéal. David n’est pas irréprochable. Il est faillible. Il a fauté et faute encore. Qu’importe si sa faute n’a rien à voir avec le crime terrible dont on l’accuse. Menteur un jour, menteur toujours.
L’un des partis-pris les plus brillants de la mise en scène de Tilman revient à masquer l’enquête, à ne montrer ni la Police, ni son travail. On voit les enquêteurs le temps d’une scène. La traque, le procès, le jugement et la condamnation se déroulent dans le regard des amis et des proches, des êtres de confiance. Le personnage principal ne doit pas uniquement se défendre face aux faits. Il doit ainsi convaincre et modifier le regard de ceux qu’il a, en un sens, trahis.
Le (soi-disant) faux coupable est un ressort admirable du thriller, surexploité par Lang et Hitchcock en leur temps. Tilman ne prétend pas rivaliser dans la conduite du récit. Sa caméra colle simplement à Fabrizio Rongione, petit homme vif, accablé, heurté mais combatif. Le comédien ne cultive pas l’ambiguïté d’un Cary Grant, ne se pose pas en parangon de la droiture comme Henry Fonda. Son personnage est construit dans une pure veine naturaliste.
Au moment de mettre cette œuvre sur pied, le cinéaste ne pensait sans doute pas qu’elle aurait une telle résonnance dans le monde contemporain. Une part d’ombre est pourtant un thriller cruellement ancré dans notre temps, un film qui ausculte le soupçon dominant et la condamnation péremptoire à une heure où les médias se font juges et bourreaux, où l’opinion publique abaisse le glaive sur le fondement d’un article putassier ou d’un titre racoleur.
Le long-métrage de Samuel Tilman renvoie très intelligemment son spectateur à ce que l’on pourra nommer “l’intime conviction“ ; notion universelle aux limites très intimes.