Zahia Dehar donne corps avec grâce à la liberté conquise des féministes contre l’ordre viril et social, inventant un plaisir aristocratique.
Zahia Dehar a 27 ans et elle est déjà une icône. Une image de beauté moderne, dont on ne se soucie pas qu’une esthétique chirurgicale a modifié ou non son naturel – qui reprocherait à Orlan le travail opéré pour un corps performant, réinterrogeant des idéaux de toute façon changeants ?
Zahia Dehar est une icône : elle entre dans le champ de la représentation d’un absolu féminin contemporain, objet sexuel et fantasmé. Et c’est parce qu’elle y entre avec l’image connue de tous de son corps insensé, investi d’une figuration qui lui échappe, que Rebecca Zlotowski s’en empare : « Zahia rencontre un personnage, c’est-à-dire qu’elle joue avec elle-même, sa représentation, sa fiction pop, sa sur-féminité. Elle est l’une des rares actrices qui n’ait aucun désir de corriger son image et de la contredire ». L’intéressait aussi le trajet social de la jeune femme venue d’Algérie, apparue dans la lumière d’un scandale, call-girl mineure dont des footballeurs français se sont offerts les services tarifés.
Avec Une Fille facile (beau titre), son quatrième long-métrage, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2019, Rebecca Zlotowski, auteur aux engagements féministes (elle est l’une des figures de proue du collectif 50/50 pour l’égalité et la parité dans le cinéma), ne donne pas seulement un premier premier rôle à Zahia Dehar. Elle lui redonne tout pouvoir sur son image, avec cette fiction d’une jeune femme désargentée qui se donne aux hommes riches, corps sexuel et corps social se confondant dans un rapport de classes. Ceci est donc un film politique.
Le temps d’un été à Cannes, Mina Farid, qui joue sa cousine adolescente, fait à son côté l’apprentissage du trouble, de la séduction, de la sexualité. Elle apprend de la fille facile jouée par Zahia le pouvoir du corps, comme objet de désir, sujet de plaisir, mais aussi instrument de domination, de réussite et d’efficacité. Une belle leçon au moment d’entrer dans l’âge adulte.
Ce conte d’été à ciel ouvert, lumineux et léger, érotise la beauté dorée de Zahia Dehar. Sa sensualité nonchalante, sa voix, son phrasé et son allure renvoient instantanément à l’image de Brigitte Bardot, mais aussi à d’autres actrices incarnant un féminin iconique (Claudia Cardinale, Sophia Loren). On songe aussi à la sulfureuse Jessica, créature à la poitrine démesurée et aux formes affolantes, de Qui veut la peau de Roger Rabbit de Robert Zemeckis, le plus érotique de tous les dessins animés.
Dans sa parentèle cinématographique, Une Fille facile pourrait inscrire Le Mépris de Jean-Luc Godard mais Rebecca Zlotowski revendique La Collectionneuse d’Eric Rohmer, un des grands films sur l’émancipation des femmes des années 1960. « Rohmer regardait la révolution sexuelle au travers d’une actrice hyperséduisante, Haydée Politoff. D’où mon idée de faire une Collectionneuse d’aujourd’hui, qui serait racontée par une voix off, féminine, et qui mettrait en scène ce personnage qu’est Zahia, lequel aurait le regard d’une collectionneuse d’hommes ».
Avec Une Fille facile, Zahia Dehar n’est pas seulement une nouvelle collectionneuse rohmérienne, solaire et affolante. Zahia, qui fut photographiée et fétichisée en nouvelle Eve tentatrice par le duo d’artistes Pierre&Gilles, affirme le droit à la liberté du corps, sa joie, son plaisir, son exultation. Zahia dédramatise et déculpabilise le corps féminin : la fille facile incarne la liberté conquise des féministes.