Entre drame intime et fresque historique, le quatrième film de Pierre Schoeller, sept ans après L’Exercice de l’État, est surtout un grand film politique. L’histoire, avec toutes ses implications, d’une révolution qui relie deux événements symboliques, la prise de la Bastille (14 juillet 1789) à l’exécution de Louis XVI (21 janvier 1793).
On croit souvent qu’il y en a eu, des films sur la Révolution Française. Mais lesquels peut-on vraiment citer, à part Danton d’Andrzej Wajda – qui se place quelques années plus tard ? Quant à La Nuit de Varennes d’Ettore Scola, Les Adieux à la reine de Benoît Jacquot ou encore Marie-Antoinette de Sofia Coppola, ils racontent une autre histoire. Il est amusant de constater que le cinéma semble se passionner davantage pour les royaumes que pour les républiques. Un seul film pourrait peut-être se rapprocher du Peuple et son roi, La Révolution française, fresque historique de cinq heures et demie, signée Robert Enrico et sortie à l’occasion des festivités du bicentenaire.
Mais le film de Pierre Schoeller, contrairement à celui d’Enrico, n’est pas une leçon d’histoire. Certes, le film commence avec la prise de la Bastille et se conclut avec la décapitation de Louis XVI, en revenant sur l’ensemble des événements entre les deux, souvent peu connus. Mais le réalisateur de L’Exercice de l’État s’intéresse moins aux détails factuels qu’au destin fatal d’un idéal qui se transforme en massacre sans coupable, dont on ne sait plus bien s’il s’agit d’un désastre ou d’une victoire.
Possessions
Au fur et à mesure que se déroule le film, on semble lire en filigrane l’injonction : « Cela ne peut finir qu’ainsi« . Pourtant, si beaucoup sont prêts à mourir pour donner le pouvoir au peuple, personne ne semble véritablement demander la condamnation à mort du roi. Pierre Schoeller fait ainsi la distinction essentielle entre un pouvoir politique et celui qui le personnifie. Ainsi, le film n’est plus vraiment le drame historique qu’il s’annonce être, mais un essai d’une grande finesse sur la relation entre un peuple et son roi.
L’adjectif possessif « son », d’apparence anodin, est en réalité essentiel. Le Louis XVI du Peuple et son roi, joué par un Laurent Lafitte brillant, tout en gravité et en mutisme, est bien conscient qu’il est un personnage de plus en plus anachronique. Il sait qu’il n’a pas le choix. Qu’il n’y a plus à se battre. Il accepte alors de renoncer à son titre de Roi de France pour devenir roi des Français. Ça n’a l’air de rien, mais la différence est essentielle. Devenu roi des Français, Louis XVI est ainsi subordonné au peuple, relégué au statut de figure avant tout affective, un objet commun à tous les Français, un objet qui rassemble. Mais Louis XVI ne peut être ce roi et les Français ne peuvent être ce peuple.
L’Histoire chez le psychiatre
Sans se concentrer sur sa vie à proprement parler, le film de Pierre Schoeller aide à comprendre le drame intime d’une fin de règne. Le poids de la dynastie, des ancêtres, la sensation de briser l’héritage, de trahir ses aïeux et avec eux l’histoire du pays sont des fardeaux infernaux. Le sentiment que l’on aurait dû être tout, mais que l’on n’est rien, peut être à l’origine des pires troubles psychiatriques. C’est l’angoisse existentielle ultime. Plus tard, Louis II de Bavière, autre roi sans royaume, deviendra fou pour les mêmes raisons. Si le film de Schoeller est psychologique dans sa représentation du roi, il échape à tout le romanesque dont sont parfois victimes certains films historiques. Marie-Antoinette et les enfants ne sont que des ombres, destinées à être emportées dans la même trajectoire fatale. Quant au peuple, il a tant soif de pouvoir et de représentation – et en cela, la richesse et la complexité du système politique telle que décrite dans Un peuple et son roi est fascinante – qu’il ne peut céder à aucun compromis. Son drame psychologique est différent, mais tout aussi intense : le peuple a terriblement besoin d’exister. Ainsi, dès que la machine s’enclenche, lorsque est retirée la première pierre de la Bastille, l’issue ne pourra être que violente et fatale.
Avec la description par l’intime des mouvements politiques, qui ne privilégie ni un camp ni un autre, Pierre Schoeller prouve à nouveau qu’il est l’un des plus fins observateurs des systèmes politiques, qu’ils soient contemporains dans L’Exercice de l’État, ou historiques, dans Un peuple et son roi.