Un biopic qui se limite aux quatre premières années de la carrière de Bob Dylan, quand ce dernier, le 25 juillet 1965, après avoir percé dans le milieu de la protest folk music, fusionne le genre avec le rock lors du festival de Newport et donne naissance à la pop music universelle. Un film inégal dans son interprétation, mais très révélateur des frustrations contemporaines.
Les films biographiques américains abondent en ce moment. Genre très populaire de la littérature anglo-saxonne depuis des lustres, Hollywood l’a abondamment honoré dans les années trente (au sein de la Warner en particulier), alors que le pays était frappé par une crise socio-économique sans précédent. Le regain de popularité du genre aujourd’hui correspond à un autre type de crise, celui d’une dérive identitaire qui frappe les États-Unis et que certains prétendent juguler au moyen de décrets présidentiels signés à tour de bras. Le film de James Mangold, à qui l’on doit déjà un biopic consacré à l’un des contemporains de Bob Dylan, Johnny Cash (Walk The Line, 2005), a bien senti l’air du temps, puisque son dernier opus, A Complete Unknown, traite d’un jeune homme venu du Minnesota, qui, attiré par la musique folk, se rend à New York en 1961 pour essayer de s’y faire un nom. Ayant atteint cet objectif, il se rend compte qu’il est en fait prisonnier d’une machine commerciale qui n’a pour seul but que de l’empêcher d’être lui-même, comme il l’exprimera dans l’un de ses plus grands succès d’alors, Like a Rolling Stone (1965) :
« How does it feel
To be on your own
With no direction home
A complete unknown
Like a rolling stone ?»
Le film se divise en deux parties d’inégale longueur. La première narre les débuts new-yorkais du jeune chanteur, qui s’impose de rencontrer aussitôt son idole, Woody Guthrie, l’un des fondateurs de la folk, très gravement malade, dont s’occupe son partenaire et ami Pete Seeger. Ce dernier verra tout de suite en lui un talent singulier. Rencontre féconde qui va le conduire au succès, dont les diverses étapes sont fidèlement empruntées par le réalisateur et son coscénariste Jay Cocks (trois films avec Martin Scorsese) à l’ouvrage d’Elijah Wald, Dylan Goes Electric (2017). Une première partie, pour laquelle le travail de reconstitution est très rigoureux, les divers grands événements politiques de l’époque (la crise de Cuba de 1962, la marche sur Washington pour la défense des droits civiques de 1963…) étant relatés au moyen d’extraits des actualités télévisées. Là où le bât blesse quelque peu, c’est sur le plan de l’interprétation. Timothée Chalamet, dont beaucoup vantent la parfaite identification avec le personnage original, nous paraît peu crédible dans cette première partie. Cela tient surtout à son physique, qui n’a pas été modifié et qui est très différent de celui de Dylan. En outre, sa manière de reproduire l’accent midwestern nasillard du chanteur contestataire relève trop de l’imitation forcée. En revanche, nombre de ses regards par en-dessous, dubitatifs, voire durs à l’égard de son entourage professionnel sont d’une très grande justesse, de même que son comportement particulièrement erratique avec ses diverses compagnes. Nous exprimerons les mêmes réserves à l’égard de l’interprétation du rôle de Joan Baez par Monica Barbaro. Des critiques que nous n’adressons aucunement à la prestation d’Edward Norton, qui physiquement ressemble beaucoup à Pete Seeger et qui, comme ses deux partenaires, interprète lui-même ses chansons avec un timbre de voix plus proche de celui à qui l’on doit Turn, Turn, Turn (To Everything There Is a Season).
Des critiques à l’égard de l’acteur principal qui tombent cependant tout au long de la seconde partie, consacrée à l’évolution radicale de Dylan. En effet, celui-ci reconsidéra la raison d’être des topical folk songs (chansons en rapport avec le contexte socio-politique du moment) d’une façon très instinctive. Ce qui l’amena, lors du traditionnel Newport Folk Festival de 1965, à révolutionner le genre en se produisant avec un orchestre rock, remplaçant sa guitare acoustique par une Fender Stratocaster électrique, ce qui choqua considérablement son public. Une nouvelle identité pour le chanteur-compositeur que Timothée Chalamet incarne avec une détermination revêche très convaincante, qui fait oublier le manque de crédibilité de la première partie. Un biopic par conséquent imparfait, mais néanmoins courageux, s’interdisant de faire de son protagoniste un héros emblématique des années de contestation outre-Atlantique, puisque, à plusieurs reprises, il nous est dépeint comme un être très égocentrique, souvent incapable d’expliquer pourquoi ou comment il parvenait à se renouveler. Un repli sur soi et une carence analytique, qui finalement auront trouvé un magnifique exutoire dans cette constante recherche d’une nouvelle identité artistique. Un film donc à voir en se souvenant du portrait aux multiples facettes que Todd Haynes avait brossé du Prix Nobel de littérature 2016 dans I‘m Not There en 2007.