Un grand voyage vers la nuit
Cryptique, hypnotique et virtuose, le second long-métrage de Bi Gan (après le très prometteur Kaili Blues) est une véritable expérience de cinéma.
Que ceux qui souhaitent en toute innocence être éblouis par Un grand voyage vers la nuit se précipitent en salle pour le découvrir sans même lire les lignes qui suivent. Il est en effet difficile de l’évoquer sans en déflorer le principal basculement esthétique. Car le second film de Bi Gan change radicalement de forme en son milieu, donnant lieu à une scène spectaculaire. Une scène seulement, puisqu’il s’agit d’un long plan-séquence de plus de cinquante minutes en trois dimensions, qui s’achèvera avec le film lui-même.
Dans sa première moitié, le réalisateur de Kaili Blues suit les pas d’un homme revenu dans sa ville natale après une longue absence pour retrouver la femme qu’il avait autrefois aimée. Il faut l’avouer, sa quête, découpée en séquences souvent très cryptiques, est assez difficile à embrasser. On s’y perd plutôt, absorbé par la beauté des images et la musicalité du montage, jusqu’à ce que notre héros s’installe dans une salle de cinéma, chausse une paire de lunettes 3-D et… c’est ainsi que débute une expérience cinématographique inédite.
Pendant cinquante minutes et sans aucune coupe, une caméra aux mouvements incroyablement fluides suit le protagoniste à travers son parcours dans une mine, dans une nacelle descendante ou dans un marché à ciel ouvert. Cette séquence, dans laquelle on se promène comme dans un rêve ou dans un jeu vidéo, a évidemment tout du morceau de bravoure et il serait aisé de réduire ce tour de force cinématographique à une simple performance technique, voire à un gadget. Mais cette façon d’envisager le film, comme une sorte d’attraction, le rapproche un peu des origines foraines du 7e art et permet de l’envisager à sa juste valeur, comme un moment de cinéma pur.