Après avoir suivi le président équatorien Rafael Correa dans Opération Correa, le cinéaste Pierre Carles, accompagné de Philippe Lespinasse, propose un nouveau portrait d’homme politique. Il est cette fois français, pas vraiment à gauche, et s’appelle Jean Lassalle. En suivant la campagne du plus original des candidats à l’élection présidentielle de 2017, les réalisateurs proposent une passionnante réflexion sur l’ambition en politique.
Tout commence en Amérique du Sud. Dans la mythologie politique altermondialiste, c’est le continent des possibles, des lendemains qui chantent. Alors que Pierre Carles, documentariste anticapitaliste, remarqué notamment pour les films La sociologie est un sport de combat (sur Pierre Bourdieu) et Attention Danger Travail, tourne un documentaire sur le président équatorien Rafael Correa (qui deviendra Opération Correa, sorti en 2015). D’entretien en entretien, le cinéaste Pierre Carles confie – dans une voix off qui rompt avec la tradition du cinéma direct auquel il nous avait habitués – être envieux du courage politique de certains élus et candidats sud-américains. Et, alors que se prépare, en France, l’élection présidentielle de 2017, le cinéaste se prend à rêver d’un Rafael Correa français, d’un Hugo Chavez français. Mais qui pour l’incarner, dans le paysage politique hexagonal plutôt sinistré ? Sûrement pas Jean Lassalle, ce député centriste des Pyrénées-Atlantiques, affilié au MoDem, plus connu comme figure médiatique avec son accent et son franc-parler, que pour ses positionnements politiques.
Les hommes du président
Pourtant, à son retour à Paris, le cinéaste reçoit un appel téléphonique du député, qui aime son travail et voudrait, peut-être, faire un film avec lui. Carles se souvient alors des coups d’éclat de l’homme politique, la grève de la faim de trente-neuf jours, entamée le 7 mars 2006 pour éviter la délocalisation de l’usine Toyal de la Vallée d’Aspe, la marche de 5000 kilomètres à travers la France en 2013, pour donner la parole aux « sans-voix », aux « oubliés », ou encore l’interruption spectaculaire dans l’hémicycle du Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, pour demander le maintien d’une gendarmerie dans son département, en 2003. Carles se dit qu’après tout, Lasalle est issu d’un milieu modeste et rural proche de celui défendu par Correa et Chavez. Ce serait donc lui, la figure du bolivarisme à la française. De fil en aiguille, le cinéaste s’en convainc et persuade son ami, le journaliste et coréalisateur du film Philippe Lespinasse, de s’improviser rapidement « conseillers occultes » du candidat. Une vaste blague qui n’est qu’un prétexte pour raconter autre chose – même si Carles et Lespinasse, avec leur sérieux de faux naïfs, en semblent presque convaincus. Bien moins vindicatifs que certains des films précédents de Pierre Carles, Un berger et deux perchés à l’Élysée ? n’est en réalité pas vraiment un film politique. Du programme de Lasalle, on ne saura pas grand chose, et pas vraiment plus de ses convictions profondes. Un berger et deux perchés à l’Élysée ? est le portrait d’un homme à la fois profondément humain, touchant et sincère, et, dans le même temps, celui d’un ambitieux fou, parfois égoïste, pas toujours très net et pétri de contradictions. Un exemple original et fascinant d’être humain.
Le bucher des vanités
Le personnage est prétexte à des situations ubuesques, et si le film est souvent très drôle, il ne tombe pas non plus dans le piège du portrait rigolard ou moqueur de ce paysan revendiqué aux ambitions présidentielles. Les scènes les plus amusantes sont au contraire à l’image de Jean Lassalle, comme lorsqu’il est bloqué sur un petit chemin de montagne par un troupeau de moutons en transhumance avec sa Citroën C8 de Président de la République. Le candidat a le sens de l’image. Il y a tout Jean Lassalle dans cette séquence : la France des petits chemins, des animaux agricoles et des montagnes, et la République forte, dans la tradition gaulliste, incarnée par la grande berline française de luxe. Et on ne l’avait jamais remarqué, mais Jean Lassalle a quelque chose du Général, physiquement ! Cela frappe dès la première séquence du film, dans laquelle les réalisateurs accompagnent le candidat au débat télévisé du premier tour. Il y en aura des images qui circuleront de Lasalle ce jour-là et les quelques jours suivants, comme de tous les candidats en période de campagne. Mais on ne l’avait jamais vu comme ça. Non pas dans ses propos ou son attitude, les émissions de télévision maîtrisent aujourd’hui aussi bien le « off » que les documentaires de cinéma, et le personnage médiatique de Lasalle est trop fantasque pour n’être qu’une façade. Mais l’angle de prise de vue choisi par les réalisateurs, le fait que l’éclairage de l’émission ne soit pas adapté aux plans tournés par Carles et Lespinasse et à leur caméra, tout un faisceau d’éléments font que Lasalle, ce candidat dont on s’est tant moqué à la télévision, apparaît à ce moment là, impressionnant, respectable et même un peu intimidant. Comme quoi, Jean Lassalle n’est peut être pas un accident. Et le film ne fera que prouver cette découverte : ce n’est pas le fruit d’un hasard qui a conduit ce maire de village face à François Fillon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron sur TF1, ce lundi 20 mars 2017. Carles et Lespinasse l’apprendront bien vite, eux qui voulaient faire de lui « leur » candidat, alors que c’est lui qui a fait d’eux « ses » électeurs. Et tout cela sans aucun programme électoral. Bien sûr, Jean Lassalle est sympathique et représente une France rurale souvent absente des plateaux de télévision, sinon de manière folklorique. Mais il n’est peut être que ça : une jolie coquille vide, fort d’une représentation que chacun peut lui plaquer, aussi bien franchouillarde que sud-américaine, conservatrice que révolutionnaire, et c’est ce qui est passionnant. Mais alors qu’on se laissait séduire, presque berner, le film nous rappelle, dans sa dernière partie, que Jean Lassalle ne désire qu’une seule chose : être président de la République. Comme il a désiré être maire, puis député, mû par une ambition si mégalomane et assumée, qu’elle pourrait être effrayante si elle était plus crédible. Elle n’est ici que touchante.