Un amour impossible
À Châteauroux, Rachel rencontre Philippe. Adaptation fidèle du roman écrit par Christine Angot, le dernier film féministe de Catherine Corsini dresse le portrait d’une femme amoureuse. Passionnant.
Christine Angot pratique depuis toujours l’estocade littéraire ; son écriture est à vif, tranchée, déplumée, et parfois même sans ponctuation. Les situations sont nettes, établies. Les enjeux marqués. Catherine Corsini s’empare de ces qualificatifs et les fait siens à l’écran. Dans Un amour Impossible, elle légitime même l’écriture angotienne en s’attachant à son oralité. Le parler du texte se retrouve dans les bouches de Rachel, Philippe et leur fille Chantal, le trio du film. Les dialogues font mouche, mais ce sont bien les silences qui forment l’intrigue majeure de l’histoire : comment Rachel n’a-t-elle pu voir l’inceste dont Philippe se rend coupable envers Chantal ?
Pour répondre à cette question centrale, la narratrice et victime remonte à ses sources identitaires. Car l’intérêt de la thématique incestueuse réside ici justement dans sa dissimulation. Nul poncif, nulle scène embarrassante ou lourde à supporter : les relations père-fille sont à peine montrées. Ce qui importe, c’est le chemin qui mène à l’aveuglement d’une mère. La vie au long cours de Rachel, depuis sa rencontre à 26 ans avec Philippe jusqu’à la retraite. Cinquante ans de combats en deux heures de temps. Un demi-siècle de forces déployées pour mener une vie de femme libre alors qu’elle reste dépendante d’un homme qui repousse ses plus chers désirs. Portée par une Virginie Efira formidable, au jeu empli de finesse, Rachel devient malgré elle une grande héroïne féministe. De celles qu’on retrouve chez Todd Haynes, François Truffaut et Jane Campion. De celles qui se soumettent à une domination amoureuse destructrice mais se battent farouchement pour en améliorer la nature.
Au-delà d’un évident film d’amour, Un amour impossible se positionne comme une œuvre ambitieuse, au carrefour des plus grands genres : un drame familial, un récit d’initiation (Rachel et Chantal grandissent et apprennent), ainsi qu’une réflexion sociale et politique. C’est sur ce dernier point que Catherine Corsini était véritablement attendue au tournant. Comment filmer l’explication-somme du roman, qui s’étale normalement sur plusieurs jours ? Comment mettre en scène la réconciliation mère-fille, cette discussion intellectuelle visant à comprendre l’acte incestueux comme appartenant à une entreprise de rejet de milieu social ? En transposant ces échanges au raisonnement séduisant en un face à face dans un café où des clients circulent, la réalisatrice opte pour une neutralité salvatrice. Un lieu où l’on peut exprimer ses plus cruels regrets sans sentir la pesanteur d’une intimité douloureuse. Une bulle créée par des panoramiques, travellings et champs/contrechamps qui les isolent des autres. Un espace spatio-temporel à part, dans lequel se confrontent puis se rejoignent une mère vieillie et silencieuse et sa fille adulte, écrivaine, qui pèse les mots qu’elle emploie. À cet égard, Jehnny Beth nuance les interprétations passées de Christine Angot au cinéma. Elle est moins caricaturale que les autres actrices du film jouant Chantal jeune. Elle s’éloigne également de la tentation au mimétisme révélée par Elsa Zyberstein dans Pourquoi (pas) le Brésil ? de Laetitia Masson.
Un amour impossible est une vraie réussite.