Après Ixcanul, Tremblements. Après la campagne, la ville. Après la nature, le bitume. Après la femme, l’homme. Mais toujours la solitude implacable de l’individu face au collectif et au déterminisme. Jayro Bustamante fait du cinéma comme témoignage de la survie. Mise en scène impressionnante et constat sans appel.
La thérapie de conversion donne lieu depuis quelques mois à une série de longs-métrages provenant du continent américain. Come as You Are de Desiree Akhavan et Boy Erased de Joel Edgerton, aidés de vedettes de premier plan (Chloë Grace Moretz, Lucas Hedges, Nicole Kidman, Russell Crowe), ont montré les sérieux dégâts provoqués par les camps spéciaux pour « sauver » les jeunes gays du mauvais chemin. Cette fois, c’est le cinéaste guatémaltèque Jayro Bustamante, révélé par Ixcanul, qui apporte sa pierre à l’édifice. Il le fait du point de vue latino-américain, de son pays originel, dans une société ultra-catholique et machiste, où l’homosexualité est inconcevable, sous peine de vivre en renégat.
Tout démarre comme dans un thriller paranoïaque. Si on ne connaît rien du film, on envisage plusieurs pistes, tant la mise en scène et le scénario jouent la carte du mystère oppressant, au cœur duquel le personnage que l’on suit, homme et père de famille, est rapidement mis à l’index en rentrant chez lui, par toute sa famille, sous une pluie battante. Qu’a-t-il fait de si atroce et irrémédiable ? Un meurtre ? Un crime ? Non. Monsieur a couché avec un autre homme. Et tout s’écroule et se resserre comme un étau dans ce monde bourgeois, évangéliste et rétrograde. Réalité locale tragique, même si les vents de l’intolérance soufflent partout. La force à l’écran naît du croisement entre la chronique réaliste et la fresque quasi mafieuse.
Aucune issue dans la proposition du cinéaste, même si l’amant, qui, lui, assume, tente par sa bienveillance de sortir le héros du marasme. Mais le premier fuit aussi la cruauté du réel, à coups de bière et de mezcal, et les femmes ne font pas avancer l’acceptation en jouant, avec toute leur autorité, le jeu du patriarcat homophobe et de la thérapie religieuse ahurissante. L’impasse totale est renforcée par le travail formel sur l’ombre, le gris, le brun, les décors et angles de prise de vues vouant l’espace à la claustrophobie, et la rigidité ambiante. La résolution est fatale : soumission à l’ordre établi, castration chimique, et section impressionnante du cordon indigne, quand le « bon » mari dit adieu, entouré de son poisseux clan, à son amoureux. L’incarnation de Juan Pablo Olyslager saisit par sa tension physique, et laisse le goût amer de l’intégrisme humain.