Transit

Partir, disent-ils

Le cinéaste allemand Christian Petzold met le passé au présent pour dire la permanence des oppressions.

C’est clairement dit : « À Marseille de nos jours ». Le soleil, le vieux-port, la vie. Mais non. On est bien à Marseille, mais en 1942, en pleine guerre, en zone dite libre. Coup de force temporel incroyable que le cinéaste allemand Christian Petzold va réussir à rendre à chaque instant crédible, et troublant. Ce tremblement du temps pour dire que tout recommence indéfiniment, on sera toujours le clandestin, le réfugié, le réprouvé, le juif, le migrant d’un système d’oppression. Petzold ne cesse d’ailleurs de convoquer les fantômes de l’histoire de son pays, les années Stasi en 2012 dans Barbara, le retour des camps dans Phoenix en 2014. Et il a évidemment trouvé une âme sœur chez Anna Seghers, dont Transit , un livre en grande partie autobiographique est paru en 1944, et a déjà connu une adaptation au cinéma en 1990, signée du marseillais René Allio. Voilà notre bel anti héros. Georg (Franz Rogowski), jeune, allemand, démuni, il veut comme tant d’autres errants rejoindre le nouveau monde, l’Eldorado rêvé, le Mexique. Il usurpe malgré lui l’identité  d’un écrivain suicidé, et l’on ne parvient pas à lui en vouloir, est chargé d’une mission qu’il ne peut remplir, voit rôder des croix gammées, s’épuise à mendier un visa, des visas de transit – nous y voilà -, de consulat en commissariat… Mais voilà Marie (Paula Beer, la lumineuse révélation de Franz de François Ozon), elle aussi veut partir mais pas sans son mari, qu’elle a quitté pourtant… Et Georg en tombe évidemment amoureux. C’est ce qui rend souvent poignant Transit, cette permanente incertitude que seul l’amour, ciment fragile et vital entre les êtres, parvient, parfois, à apaiser.

On passe de l’allemand au français sans frontières, on voit rôder des croix gammées, un patron de bar joue le chœur antique à lui tout seul, une amitié fugace comme une éclaircie lie Georg à un petit garçon noir. Qui réussira à monter sur le paquebot rêvé ? La Marseille d’aujourd’hui enveloppe de son indifférence agitée le destin des réprouvés. La guerre, nichée en son sein, n’est pas en peine de cruautés. Et l’espérance n’est jamais là où on l’attendait. Par ses méandres narratifs, Transit peut sembler un peu difficile à aimer. Faites l’effort, vous en serez récompensés.