C’est l’histoire d’une artiste, qui est aussi une activiste : Nan Goldin, dont la vie entière est une lutte à la fois désespérée et joyeuse contre la mort.
Ça commence par des die-ins, ces manifestations au cours desquels les participants gisent au sol, comme morts, pour dénoncer divers empoisonnements. Ici, dans ou devant des musées prestigieux, il s’agit de dénoncer la fabrication de l’Oxycontin, ce médicament antidouleur à base d’opiacés qui crée des ravages. Parmi les intervenants, Nan Goldin, tignasse rousse, lèvres carmin, lunettes noires. Avec le collectif qu’elle a contribué à fonder, P.A.I.N. (Prescription Addiction Intervention Now, qui, prononcé Pain en anglais, signifie douleur), elle multiplie les actions, que sa propre célébrité aide à rendre médiatiques. Et ce, afin de réveiller les consciences et obtenir que les musées cessent d’accepter l’argent de la famille Sackler, généreux donateurs se refaisant une virginité sur le compte de l’art, alors que leur fortune se fabrique sur la dépendance et la mort de milliers de gens depuis des années.
Née en 1953 dans le Wisconsin, photographe de sa propre vie, comme on tient un journal intime, observatrice singulière dès les années 1970 d’un monde de la nuit jusque-là peu regardé : communauté queer, drogués, travailleurs du sexe, qu’elle a donné à voir dans leur vérité nue et leur beauté crue, Nan Goldin est aussi une activiste fervente. Engagée dans la lutte contre les Sackler, groupe pharmaceutique familial responsable de la crise des opiacés aux États-Unis (voir aussi sur ce thème l’excellente série de fiction Dopesick de Danny Strong [2021]) suite à sa propre addiction et à la mort de nombreux amis et utilisateurs autour d’elle. C’est sur cette partie de sa vie que la journaliste et documentariste Laura Poitras (Citizenfour (2015) sur Edward Snowden ; Risk (2016) sur Julian Assange) a commencé par se pencher, restant ainsi dans le droit fil de son intérêt pour les lanceurs d’alerte.
Mais il y a plus. Se confiant à elle uniquement lors d’entretiens audio, Nan Goldin raconte son parcours, la fuite du milieu familial après la mort de sa sœur, la plongée dans la drogue, la prostitution, la violence. Tout un chemin plein de hauts et de bas, qui révèle des blessures, des douleurs (sa sœur aînée s’est en fait suicidée, des rapports médicaux expliquent que leur mère était défaillante et aurait dû être soignée). Qui exalte encore plus la puissance des images de Nan Goldin, exposées dans tant de musées, tel le diaporama « The Ballad of Sexual Dependency » (1985), dont on voit des passages dans le film.
Lion d’or à Venise en 2022, Toute la beauté et le sang versé est le portrait d’une artiste et activiste qui se dévoile peu à peu, sous le regard de la réalisatrice. Ce film est d’une force bouleversante. Car il naît d’une confiance et d’une amitié, et raconte un rapport insensé à la mort et à la vie. Une danse sur un volcan. Un personnage. Une femme.