Tout peut changer – Et si les femmes comptaient à Hollywood ? Le documentaire de Tom Donahue, dense en informations, expose sans concession les chiffres et les faits augmentés des témoignages d’une centaine de femmes de cinéma et des médias, célèbres ou non, aux États-Unis. Un constat édifiant d’une inégalité criante à briser de toute urgence.
Produit en association avec le Geena Davis Institute on Gender Media, Tout peut changer (…) met en exergue le parcours de Geena Davis, devenue célèbre avec le rôle libérateur de Thelma dans Thelma et Louise de Ridley Scott (1991). La philosophie et l’engagement féministe de l’actrice sont basés sur les recensements minutieux de l’Institut : « Tant que les femmes sont caricaturées, tenues à l’écart, stéréotypées, hyper-sexualisées – tant qu’on ne leur propose pas de rôles forts ou qu’elles sont simplement absentes des écrans –, le message est clair : les femmes et les jeunes filles n’ont pas la même importance que les hommes et les garçons. Cette situation a un impact considérable sur le secteur et la société dans son ensemble ». Admettons-le, la vérité est glaçante : 80% des médias consommés dans le monde sont d’origine américaine, véhiculant une vision réductrice des femmes. En 2018, 85 % des écrivains des cent films les plus populaires et 92 % des réalisateurs des deux cent cinquante meilleurs films nationaux étaient des hommes. La même année, seulement onze films comptaient des femmes d’un groupe ethnique minoritaire avec un premier rôle. Et sur les cent films les plus populaires de 1990 à 2005, 72 % des rôles parlés étaient tenus par des hommes, le ratio de quatre hommes pour une femme étant quasi le même depuis 1946…
La réalité ne semble gêner personne : le monde de l’image est trusté par les hommes blancs hétérosexuels. Ces derniers égrènent sans lassitude les mêmes récits depuis 1800, le mythe du western extrapolé sous n’importe quel forme. Le prototype du héros (au même titre que l’antihéros) est toujours le même, un quadra vieillissant reprenant son arme pour éliminer tout défi à sa virilité. Dans des postures secondaires, les femmes évoluent autour de lui, au seul titre de distraction, leur apparence physique les cantonnant au rôle d’objet sexuel. Mira Nair, réalisatrice, précise : « Le pouvoir de ce que vous voyez durant votre enfance forme l’ADN de ce que vous deviendrez ». Plusieurs intervenantes rappellent qu’être une petite fille sans jamais se reconnaître à l’écran dans des programmes pour enfants est dévastateur. Exclue, elle est propice à croire à son anormalité, à vivre la honte, à nier sa dignité. La diversité ethnique ou sexuelle n’existant quasiment pas, les minorités sont soumises aux mêmes problématiques.
Tom Donahue poursuit son exploration en faisant affleurer les difficultés du milieu professionnel audiovisuel : il en ressort que les femmes ont appris à se taire, la pression masculine évacuant toute forme de solidarité entre elles. Même si certains chiffres sont éloquents – notamment le fait que les films faits par des femmes gagnent 38 % plus d’argent que les autres aux États-Unis -, aucun succès depuis Thelma et Louise jusqu’à La Reine des Neiges (2013) n’a permis une prise de conscience pour davantage de parité. Le réalisateur prolonge son enquête jusqu’en Suède, où une directrice de cinéma, Ellen Tejle, a mis au point un label utilisant le test de Bechdel-Wallace : si deux femmes sont réellement nommées dans un film et ont une conversation sur un sujet ne portant pas sur un homme, l’œuvre est plébiscitée par la salle de cinéma. Néanmoins, le nombre d’œuvres éligibles est consternant.
Comment expliquer ce phénomène ? Tout peut changer (…) examine la place des femmes dans l’histoire du cinéma, l’époque du muet s’apparentant à une forme d’éden pour femmes, tant elles sont nombreuses à écrire, réaliser, produire. L’arrivée du cinéma parlant coupe net leur élan. Soumises soudainement aux investisseurs et aux lois bancaires, elles sont victimes d’une hiérarchie masculine sans appel. Puis, les syndicats, dont la fameuse DGA (Directors Guild of America) enfoncent le clou. Tom Donahue remonte le temps des actions menées pour la défense de femmes osant brandir l’Article VII des droits civiques des États-Unis contre la discrimination. Dans les années 1980, les tentatives infructueuses de The Original Six n’enlèvent rien au mérite d’avoir été les premières à avoir lancé l’alerte. Aujourd’hui, la réalisatrice Maria Giese reprend leur flambeau. Elle a permis une lueur d’espoir : l’ACLU (American Civil Liberties Union) s’est enfin engagée dans la lutte – toujours en cours – au nom des femmes sans travail. Sans lâcher son sujet, le film passe rapidement sur l’élection de Trump, le malotru venant ternir le tableau, et l’affaire Weinstein, symptôme évident de la problématique, pour interroger directement ceux qui tiennent les rênes du pouvoir dans le cinéma et la télévision. Face à cette majorité silencieuse, le film cherche à expliquer les raisons qui poussent toujours aujourd’hui à ne pas embaucher de femmes. Évoquant au final quelques exemples salutaires dans l’industrie (le revirement du CEO de la chaîne FX et l’activisme de Reese Whiterspoon), il égrène les actions restant à mener pour un changement systémique. Sans se départir d’un traditionnel positivisme ricain, Tout peut changer laisse à Geena Davis le soin de rappeler : « Ce qui est bon pour les femmes est bon pour tout le monde ». Gageons qu’après plus d’un siècle d’images, les consciences auront eu assez de temps pour faire les comptes et procéder maintenant aux aménagements nécessaires.