Tout le monde aime Jeanne

Mini-moi 

Présenté en séance spéciale à la  Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes, Tout le monde aime Jeanne est le premier film de Céline Devaux. Réunissant joyeusement Blanche Gardin et Laurent Lafitte, cette comédie émerveille par son originalité et sa justesse.

 

Jeanne est une quarantenaire qui sort de son plus gros échec professionnel : son invention révolutionnaire pour nettoyer le plastique des océans s’est transformée en une humiliation collective. Elle est désormais la risée de ses confrères et s’est gentiment fait licencier de son poste. Afin de remonter la pente, elle se rend à Lisbonne pour vendre l’appartement de sa mère, récemment décédée. Dire qu’elle broie du noir serait un euphémisme, pourtant Jeanne conserve une énergie et une autodérision à toute épreuve. Blanche Gardin interprète ce rôle, qui semble spécifiquement écrit pour elle. L’actrice n’a jamais été aussi à sa place devant une caméra et c’est d’ailleurs quasiment première fois qu’elle est en tête d’affiche. En soutien à l’écriture raffinée de Céline Devaux, Blanche Gardin apporte une fibre comique indéniable, tout en parvenant à la dépasser, afin d’offrir à son personnage une épaisseur sincère. En somme, le film et son interprète réussissent l’exploit de faire rire en abordant frontalement la question du deuil et de la dépression.

Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux. Copyright Les Films du Worso - O som e a furia.

Si Tout le monde aime Jeanne est bien un premier long-métrage, Céline Devaux est pourtant loin d’en être à son coup d’essai. Auréolée de récompenses pour ses courts (Un César en 2016 pour Le Repas dominical, le prix du meilleur court-métrage à la Mostra de Venise pour Gros Chagrin en 2017), la réalisatrice parvient à garder la fantaisie de son univers, en le déployant sous une forme longue. Alors que ses premiers courts étaient entièrement animés, elle fait rapidement intervenir des comédiens (Swann Arlaud et Victoire du Bois dans Gros Chagrin). La transition vers la prise de vues réelles se poursuit avec Tout le monde aime Jeanne. Toutefois, l’animation garde une place centrale. De nombreuses saynètes du film, avec quelques traits simples, souvent en noir et blanc, mettent en scène un alter ego miniature du personnage principal. Dans la tête de Jeanne, cette petite voix commente ses actions, se fait le reflet de ses conflits intérieurs, en instaurant un dialogue interne schizophrénique. Cette rupture de forme est loin de casser le rythme du film. Au contraire, il est rare que cela paraisse aussi remarquable et justifié. Accompagné délicatement par la musique de Flavien Berger, ce procédé invite à une empathie immédiate et durable avec le personnage de Jeanne.

La vie de l’héroïne est aussi caractérisée par ce qu’elle nomme un désert sentimental et amoureux. Quelques flirts épars, jamais très longs, jamais avec les personnes adéquates, Jeanne est une célibataire endurcie et sa voix intérieure ne manque pas de le lui rappeler. Dans une scène d’aéroport savoureuse, Jean fait son apparition et l’aborde. Laurent Lafitte prête à merveille ses traits à ce personnage de séducteur insistant, cachant sa maladresse dans des excès de confiance. Il révèle lui aussi son talent d’amuseur au cours de dialogues désopilants, avant de s’imposer comme un autre alter ego de Jeanne, plus subtil qu’il n’y paraît. La rencontre de ces deux solitudes est une des grandes forces du film. Elle insuffle à ce portrait de femme vigoureusement désespérée des airs de comédie romantique qui culminent dans une douce apothéose musicale.

 

 

A écouter aussi, l'interview minutée de Céline Devaux par Jenny Ulrich

Le système minuté

Il s’agit de laisser jouer le hasard. J’ai arbitrairement décidé de noter ce qui se passe aux 7’, 42’, 70’ et 91’ minutes des films et de soumettre ces moments aux réalisateurs et acteurs venus en faire la promotion. L’idée est d’être vraiment très précise dans ces descriptions afin que mon interlocuteur puisse réagir au maximum d’éléments, selon ce qui lui importe le plus (le son, les cadrages, les couleurs, etc.). Le choix des mots a son importance également et il arrive que je me fasse reprendre, c’est très bien comme ça. Chacun s’approprie l’exercice comme il l’entend, mais au final on arrive presque toujours à parler du film de manière concrète, en contournant légèrement le train-train promotionnel. On pourrait dire que le résultat est à mi-chemin entre la bande-annonce et le commentaire audio, tel qu’on en trouve sur les suppléments DVD. Par ailleurs, ces entretiens sont « neutres » : que j’aie aimé ou non les films n’entre pas en ligne de compte, il s’agit avant tout de parler cinéma, sans a priori.