Toubib de Antoine Page

Itinéraire d’un étudiant en médecine

Jusqu’alors intéressé à filmer des personnes éloignées de son entourage (lycéens, artistes de rue ou en maison de retraite, etc.), le documentariste Antoine Page dresse à présent le portrait de son petit frère, Angel. Parcours d’un futur médecin généraliste.

Si cette histoire avait fait l’objet d’un texte, elle aurait pu relever autant de la biographie que du roman d’apprentissage. En filmant, douze années durant, le parcours universitaire de son frère, étudiant en médecine, Antoine Page utilise le temps long comme un allié cinématographique aux multiples vertus. En effet, c’est au terme d’un concours puis d’examens théoriques annuels, de nombreux stages en hôpitaux et de confrontations avec les patients, qu’un jeune lycéen indécis sur le plan professionnel se découvrira finalement une vocation de soignant. C’est au prix d’efforts quotidiens de bachotage et de changements fréquents et obligatoires de cadre de vie professionnelle, qu’une fois devenu étudiant, il développera peu à peu son propre esprit critique sur sa discipline.

Le temps d’un cursus d’études médicales, voilà donc ce qu’il aura fallu à Angel pour apprendre à se connaître et à s’affranchir du chant des sirènes, renoncer à devenir spécialiste, par exemple, avant de choisir un métier de proximité avec le patient au sein d’un centre de santé communautaire associatif.

Bien que Toubib brasse des thématiques sociétales et médicales régulièrement abordées dans la fiction française (notamment dans le cinéma de Thomas Lilti : Hippocrate (film et série), Médecin de campagne  ou Première Année), le documentaire ne tend jamais vers la confusion ou l’accumulation. Par la présence même d’Angel à chaque plan, un fil narratif se tisse. Et, même à craindre le hors-sujet à la convocation d’une vidéo de sa jeunesse, on explore au contraire un pan de sa personnalité que le propos même du film ne pouvait pas laisser soupçonner.

À l’instar du Dr Jamal Abdel-Kader, psychiatre mis en lumière cette année dans le documentaire État limite de Nicolas Peduzzi, le Dr Angel Page est de ces médecins en proie au doute, qui cherche à occuper une place de soignant la plus utile possible pour la population. À l’aide d’une webcam qu’il a installée dans ses logements successifs, le jeune homme tient une sorte de journal intime vidéo. En parlant face caméra, il nous offre parmi les plus belles séquences du documentaire, qui mettent en lumière ses prises de conscience et produisent un effet de direct sur le spectateur.

Au gré de cette mise en scène relativement minimaliste, nous voguons de l’intime à l’universel avec harmonie. Lors de trajets en voiture entre deux consultations, les frères Page scellent leur complicité en écoutant des musiques mythiques de films. Des notes enchanteresses, tirées des partitions de Barry Lindon ou Il était une fois en Amérique, suspendent et embellissent des instants de vie qui ne seraient restés sinon qu’anodins. Par cette sublimation de l’ordinaire, nous goûtons à l’essence délicieuse du septième art.

Hélène Robert