Le Triomphe de l’amour par Denis Podalydès

L’îlot des sentiments 



Le brillant Denis Podalydès monte un classique de Marivaux à Paris. Une version sans fioritures des révélations et simulacres amoureux, dans les sublimes murs des Bouffes-du-Nord.

Denis Podalydès a souvent joué Marivaux sur les planches : L’Épreuve, Les Sincères, La Double Inconstance, Les Fausses Confidences, Le Legs… Mais c’est la première fois qu’il monte lui-même un de ses textes, et sans s’y distribuer de rôle. Il retrouve l’espace du Théâtre parisien des Bouffes-du-Nord, où il a mis en scène Molière en 2012 (Le Bourgeois gentilhomme), Tchekhov en 2014 (Les Méfaits du tabac) et Maeterlinck en 2015 (La Mort de Tintagiles).

Le Triomphe de l’amour par Denis Podalydès. Crédits photo : Pascal Gely.

Toujours réjouissant de rentrer par l’immeuble de l’angle du boulevard de la Chapelle et de la rue du Faubourg Saint-Denis, face au métro aérien et à côté des rails menant à la Gare du Nord. Un décor urbain dans lequel le spectateur se glisse pour remonter le temps jusqu’aux années 1730. 1732 pour être exact, année de la première de cette comédie en trois actes, écrite notamment entre Le Jeu de l’amour et du hasard (1730) et Les Fausses Confidences (1737).

Le Triomphe de l’amour par Denis Podalydès. Crédits photo : Pascal Gely.

Une nouvelle variation sur l’amour travesti. L’héroïne princesse fait craquer celui et celle qu’elle vise, et redonne son honneur à celui qui l’avait perdu. La cruauté des jeux de dupes est toujours là, mais la saveur de la fantaisie aussi. Les savantes constructions de la pensée et du langage rivalisent dans la bouche des protagonistes, entre les trompeurs et les trompés. Jean-Noël Brouté (actuellement à l’affiche de Bécassine ! de Bruno Podalydès) apporte son énergie bonhomme à Arlequin et aux tergiversations du cœur. Stéphane Excoffier émeut, dans la description d’une vieille fille (Léontine) qui, aveuglée par un faux désir pour elle, s’ouvre enfin à ses pulsions. La révélation sera terrible pour elle, comme pour son frère Hermocrate, à qui Philippe Duclos offre sa finesse et sa sobriété généreuses. Thibault Vinçon, vu à l’écran chez Emmanuel Bourdieu, Mikhaël Hers et Raoul Peck, insuffle à Agis la détermination de l’homme blessé, mais prêt à relever la tête.

À la croisée de tous les chemins, Leslie Menu mène la bataille avec entrain, entre délicatesse et aplomb. La précision d’orfèvre de la dramaturgie marivaudienne trouve dans les décors un fort écho. La profondeur scénique est réduite aux Bouffes-du-Nord, au profit de la verticalité impressionnante. Eric Ruf, ici scénographe, favorise le rudimentaire astucieux des plantes, du sable, d’une cabane rotative en bois, de planches à roulettes en guise de barques, et d’un jeu de voiles et de transparence, pour mieux faire apparaître la vigueur des sentiments cachés. Sans esbroufe, mais avec assurance, les enjeux diffusent leur évidence. Une parenthèse subtile en plein été.