Sortie cette semaine de The Substance de Coralie Fargeat qui a divisé notre bande. Voici trois avis complémentaires.
The Substance de Coralie Fargeat résonne comme une véritable déflagration dans les cœurs et les esprits : film politique, coup de force féministe jusqu’au-boutiste, monstrueux, décapant et régénérant, il est sans conteste l’un des meilleurs « body horror movie » de ces trente dernières années. Sans comparaison aucune avec la vacuité du faible Titane de Julia Ducouneau, la réalisatrice française Coralie Fargeat démonte par le menu l’asservissement d’une femme sous le joug de son image et d’un producteur avilissant (Dennis Quaid répondant ici au doux prénom de Harvey…). La star d’aérobic vieillissante, c’est Demi Moore (pour laquelle on réclame d’emblée un prix d’interprétation), une sorte de Dorian Gray au féminin adoptant un élixir de jeunesse pour créer son double, soit « la meilleure version d’elle-même » (Margaret Qualley, impeccable). L’imprudente signe, dès lors, sa perte.
Truffée de références à Kubrick (Shining), Lynch (Elephant Man), Cronenberg (La Mouche), l’action horrifique du film est intense, joue de répétitions, s’amuse de grandiloquence et de misandrie systématique, tirant en permanence de ses exagérations un humour de second degré. Le spectateur se soumet à l’attraction de montagnes russes avec autant d’effroi que d’euphorie. Et tout est à l’avenant pour cela : le grotesque et le mauvais goût de l’anamorphose des images, des musiques tonitruantes, des maquillages et des effets spéciaux saturés et impressionnants, des hectolitres d’hémoglobine à faire pâlir Carrie de De Palma, l’ensemble mis en scène avec une énergie vengeresse digne de Quentin Tarantino, Robert Rodriguez ou Alex de la Iglesia. Révolutionnaire coupeuse de têtes dans l’âme, la cinéaste pointe les hommes et la société de consommation avec sa kalachnikov pour une seule revendication : l’arrêt immédiat de l’idolâtrie du jeunisme et des femmes-objets. En ce sens, avec The Substance, Coralie Fargeat, membre du collectif 50/50, apporte avec brio de la sueur et du sang à son moulin.
Olivier Bombarda
C’est devenu, ces dernières années, la ritournelle de certains coachs en développement personnel : « parvenir à être la meilleure version de nous-mêmes ». Cette injonction, qui entend tout contrôler de l’humain, y compris sa part obscure, Coralie Fargeat la prend au pied de la lettre pour en faire le socle de son récit allégorique. Et il y a quelque chose d’assez jubilatoire (dans la première demi-heure du film) à la voir concevoir une sorte d’hydre à deux corps, symbole de nos sociétés occidentales aliénées, pour le torpiller de l’intérieur. Car, sous le vernis de ce B-movie de luxe, se niche une pertinente réflexion sur nos fractures intérieures, la dictature du jeunisme ou le culte de l’image de soi, qui finit par pétrifier, comme le donne à penser le dernier plan du film, possible évocation de la figure de Méduse.
Hélas, le récit devient redondant et s’étire, les plans multipliés sur les courbures fessières de la jeune héroïne font bégayer le récit et contredisent son apparent discours féministe. Pastichant Cronenberg, Kubrick, Lynch ou De Palma, la réalisatrice s’embourbe et dissout la force de son propos. En définitive, on ne sait si l’on a affaire à un tour de force bravache, drôle (le film l’est parfois), pertinent, un récit déprimant où la solitude règne en maître, ou une blague clinquante, trop longue et fière d’elle-même.
Anne-Claire Cieutat
Demi Moore. Certains se souviennent encore qu’elle fabriquait des vases avec un fantôme dans Ghost (1990) de Jerry Zucker et y gagna ses galons de star. Cette solide actrice du siècle dernier fait un retour remarqué dans The Substance de Coralie Fargeat, présenté hier en compétition. Excellent choix que Demi Moore, sublime, engagée et sans filtre, pour le rôle d’Elizabeth Sparkle, ex gloire d’Hollywood reconvertie dans le fitness pour show télévisé qui se voit soudain placardisée en raison de son âge. Et signe un pacte avec le diable. Cette fable pseudo féministe commence très bien : élégance et rapidité, on y croit. Et puis, au bout d’une heure, on a bien compris le côté Portrait de Dorian Gray version gore avec corps ouverts et fluides en tous genres. Faut c’qui Faust ! Sauf que rien n’évolue, tout devient répétitif, outrancier. Et, hélas, le message (stop à la dictature du jeunisme) brouillé à force de montrer sous tous les angles la plastique fessière de Margaret Qualley ne s’accompagne d’aucun approfondissement. Et se dilue, juste pour le fun, dans un torrent d’hémoglobine. En compétition, The Substance ? Ça méritait une séance de minuit pour faire hurler la foule à bon compte. Tout au plus.
Isabelle Danel