Stephen Frears revient sur l’histoire vraie de celle qui découvrit la dépouille de Richard III à Leicester en 2012 et, à travers elle, donne à voir de manière sensible le processus intuitif à l’œuvre.
Tout commence par un regard. Philippa Langley, jeune quadra sans histoire, mère de deux enfants, séparée de son mari avec qui elle s’entend bien, se rend à une représentation de Richard III de Shakespeare avec l’un de ses garçons à Édimbourg. Son attention semble chavirer au moment où le comédien interprétant le monarque s’approche d’elle et la regarde fixement. Philippa se laisse traverser par une intense émotion, qui la conduira, à l’issue même du spectacle, à prendre la défense de ce roi que tous jugent cruel, puis à partir en quête de sa sépulture et de sa réhabilitation dans l’histoire de son pays.
Ce qui est très fort dans cette inaugurale séquence, c’est la manière dont Stephen Frears envisage le théâtre comme catalyseur. Car c’est sur le terrain de l’artifice que naît le brasier intérieur de cette femme devenue enquêtrice et historienne amateure. Dès lors, rien n’arrêtera sa démarche titanesque et sa détermination sans faille à lever le voile sur la mort de Richard III, et détruire sa réputation d’usurpateur figée dans l’imaginaire collectif depuis cinq cents ans.
Si la mise en scène de The Lost King manque un peu d’ampleur, on comprend aussi le parti pris du réalisateur de The Queen ou Philomena consistant à rester au plus près de son héroïne. Car, outre la dimension patrimoniale de cette formidable histoire, il s’agit surtout ici de filmer le processus intuitif à l’œuvre. Dès l’instant où Philippa est traversée, saisie par un sentiment indicible et puissant, elle se retrouve connectée à un fantôme, que Frears n’hésite pas à matérialiser comme pour faire dialoguer deux époques. Celle qui souffre de fatigue chronique et que certains considèrent instable est surtout une personnalité hors norme, capable de se fier à son solide sixième sens et toucher à une dimension abstraite et néanmoins réelle, qui laisse nombre de cartésiens sceptiques. La force de ce récit est de ne jamais entrer de plain-pied dans un genre bien défini. Ni drame, ni franche comédie, ni film fantastique, The Lost King trouve une tonalité à leur carrefour pour rendre palpable la force intuitive de cette femme sans qu’on ait jamais à en rire.
Philippa doit aussi son succès à d’autres, et le film souligne la force de ces liens : ses enfants et son ex-mari toujours très attentif et présent ; un club de passionnés de Richard III comme elle ; et une autre femme, Sarah Levitt (Amanda Abbington), qui, en deux séquences seulement, fait triompher la notion de sororité dans un monde patriarcal où celles qui se fient à leur « dynamique émotionnelle », comme dit un universitaire dans le film, sont souvent prises pour des folles, voire des sorcières.
Sally Hawkins (Blue Jasmine, La Forme de l’eau) est celle sur qui repose la quasi-intégralité de ce film. Son jeu est, comme toujours, épatant : sur son visage encadré par une coupe courte, on lit mille nuances de regards et, au fil de sa voix à la fois grave et chuchotée, on entend de multiples variations vocales. Mi-féminine, mi-enfantine, elle fait de Philippa une femme attachante, dévouée, entière, endurante et admirable. Oubliez les ouvrages sur le pouvoir de l’intuition, allez voir The Lost King !
Anne-Claire Cieutat