La misanthropie de Lars von Trier n’est plus seulement vulgaire : elle prend un visage morbide dans The House that Jack Built. Dans les confessions d’un serial killer joué par Matt Dillon se dessine en creux un autoportrait de l’artiste, enferré dans un esthétisme infatué.
Cela va-t-il être son nouveau dogme ? La confession comme moteur narratif, après Nymphomaniac 1 & 2, arque le récit de The House that Jack Built. Lars von Trier, qui n’aime rien moins que découper précisément ses histoires, échafaude une construction en plusieurs actes : où un tueur en série des années 1970, sorte de mâle dominant narcissique et infantile, confesse cinq « incidents », manière d’appeler ses meurtres de sang très froid, qu’il considère pour sa part comme des œuvres d’art. L’art de bien faire existe partout…
On connaît bien le goût, mais de plus en plus ridicule, du Danois, pour non pas la provocation mais la transgression possiblement la plus violente et extrême. Il frappe un grand coup, en osant le tabou ultime, dans une scène grand-guignol, de l’interdit majeur du meurtre de l’enfant : Jack alias Matt Dillon traque dans le viseur de son fusil des enfants, qu’il tue comme des lapins, avec un air rayonnant de jouissance toute-puissante. Comme si la traversée du tabou sexuel, dans Nymphomaniac, n’avait pas suffi à son auteur, qui par le truchement de ce psychopathe chasseur d’enfant, évidemment monstrueux et sadique, satisfait ses pulsions morbides –qu’on se souvienne, aussi, des mutilations psychotiques et tortures en gros plan dans Antechrist. La violence a besoin de grand spectacle !
Il y a toujours un grand formalisme dans le cinéma de Lars von Trier, et The House that Jack Built, s’il est loin de ses anciennes expérimentations, fait primer la recherche d’une langue esthétique extrêmement sophistiquée. Cette beauté visuelle savante ne peut faire écran aux gouffres obscurs dans lesquels il nous précipite, en une vision purement nihiliste de ce qui fait l’homme, sorte de sauvage meurtrier. Il n’y a jamais rien à sauver, chez l’homme ; l’homme bon n’existe pas : Lars von Trier rumine depuis toujours, et désormais ad nauseam, la bile noire de la misanthropie, qui a pris à l’occasion, dans sa filmographie, le visage de la mysoginie (elles se confondent dans The House…). Car enfin, il ne faut guère aimer l’homme pour le salir ainsi, dans cet élan de pulsion créative mortifère.
The House that Jack Built est une fable autosatisfaite, de son climat de terreur et de son style : l’horreur et le beau s’y donnent le bras, dans la marche d’un cinéma horrifique qui croit avoir encore toutes les audaces, quand, au fond il lasse. A la fin de cette nuit humaine éprouvante, Lars von Trier veut aller plus loin encore, et fouiller les profondeurs du Mal, dans un épilogue où apparaît Verge, sorte de Virgile, l’auteur de L’Enéide où figure une descente aux Enfers. Cette descente clôt The House…
Jack (Lars von Trier ?) comme Enée, traverse le fleuve infernal dans un final démesuré à la mise en scène boursoufflée – le réalisateur danois recycle Bach, Dylan, Dante, Delacroix, Goethe, etc. « Bien sûr qu’il est dérangeant, a soufflé Matt Dillon à Cannes. Mais c’est vraiment au fond une allégorie sur le voyage artistique de Lars. » Une allégorie sur l’art et l’existence qui médite à vide : Lars von Trier n’a-t-il plus rien à mettre en scène, que son double monstrueux et caricatural ?