Film d’horreur, film social ou portrait poisseux, The Golden Glove est surtout une œuvre de Fatih Akin, cinéaste allemand au point de vue très frontal qui, depuis vingt ans, plonge ses yeux tout au fond des nôtres pour sonder nos instincts. Et au diable la gêne et l’inconfort.
Le diable, d’abord, c’est peut-être de lui qu’il s’agit, déguisé en médiocre, en arpenteur de bistrots, dont Der goldene Handschuh à Hambourg. The Golden Glove s’attache à retracer le parcours criminel d’un tueur en série des plus dégueulasses, et au modus operandi particulièrement chaotique. Fritz Honka a vécu dans les années soixante-dix, au nord d’une Allemagne meurtrie par le poids d’une horreur indépassable. Il était alcoolique, misérable. Il tuait des femmes et en cachait des morceaux dans son appartement insalubre. Il agissait en toute impunité, massacrant celles que personne ne voulait voir, des éclopées, échouées de l’existence, prêtes à suivre ce déchet humain pour un verre de plus. Il racolait les racoleuses dans un tripot légendaire, magnifiquement reconstitué pour les besoins du film. L’auteur y fait se rencontrer la lie de l’humanité, des marins avinés en fin de solde aux vieux nazis égarés.
Le diable, écrivait-on ?
Mais Fatih Akin se fout bien du malin. Il traque l’homme dans ses plus sombres recoins, ses pires avilissements et ses défaites triomphantes.
D’autres (Jonathan Demme, Ridley Scott…) ont élevé le serial killer au rang d’icône, lui ont conféré une portée mythologique. Il suffit de voir Hannibal Lecter, le cannibale progressivement dépouillé de son aura mystérieuse pour devenir un monstre superbe, le symbole du raffinement criminel ou, au choix, un frisson stérile.
Le cinéaste d’origine turque n’iconise rien, lui. Il ne vise aucune élévation. Il parle de nous, de lui, de vous, les pieds sur terre, le nez dans la mousse. The Golden Glove est une œuvre anthropologique qui s’attache à l’alcoolisme et à la misère.
Oui, le personnage tue, découpe, massacre, mais il n’obéit à aucune logique, à aucun schéma, à aucune construction psychanalytique. L’approche naturaliste devrait nous pousser à le ranger aux côtés des tueurs d’Henry, portrait of a serial killer ou du superbe Schizophrenia.
Mais Akin va plus loin encore. Il signe un film de serial killer où le meurtre ne compte pas, mais n’est que l’illustration de la déchéance absolue de l’Homme. The Golden Glove est le portrait infiniment honnête, brutal et grotesque de la misère. Cette misère qui rend la morale, la dignité et les derniers relents d’humanité absolument désuets et dérisoires.
Une misère que d’autres auraient narrée du bout des doigts, pour ne pas se salir. Mais le portrait, au sens photographique du terme, est au cœur même du travail de Fatih Akin. C’est en braquant sa caméra sur les traits distendus de Diane Kruger qu’il captait, dans In the Fade, sa douleur de mère vengeresse. C’est en s’approchant du visage disgracieux et des traits abîmés de Fritz Honka qu’il saisit l’abjection du meurtrier. Mais si le réalisateur allemand fait un cinéma douteux qui rit grassement de l’horreur, qui s’exalte de la loi du talion, il construit surtout une œuvre qui ne prend pas la peine de se déguiser.
The Golden Glove est un film odieux et profondément dérangeant. L’art (le 7e notamment) devant se défier de toute forme de confort, sa violente sincérité n’en est que plus salutaire.