The Flats d'Alessandra Celesia

Résister aux Troubles

À Belfast, un sexagénaire revit ses souvenirs des « Troubles », le terrible conflit qui a secoué l’Irlande à partir de 1960. Ce documentaire unique est habité, bouleversant et prenant.

« The Troubles » : ainsi sont nommés en anglais les « événements » entre républicains catholiques voulant une Irlande unie et détachée de l’Empire britannique et loyalistes protestants souhaitant faire partie intégrante de la Grande-Bretagne. C’était, quoi qu’il en soit, une guerre. Terrible. Les troubles, en français dans le texte, c’est ce qui, en héritage, a affecté plusieurs générations d’Irlandais, qui n’ont pas tout à fait récupéré des conséquences de la violence, de la mort, de la dévastation.

La documentariste Alessandra Celsia, dont la belle-famille est originaire de Belfast, plante sa caméra dans le quartier de New Lodge et s’attache rapidement aux pas d’un homme étonnant. Joe crie « Freedom » à travers les rues de son quartier. C’est pour appeler son chien, un yorkshire qui trottine sans laisse. En toute liberté, donc. Joe crie aussi des injures du haut de son balcon, lorsqu’il voit des dealers de drogue refiler leur « saloperie » à des gamins. Et puis, dans le cabinet de Sarah, la thérapeute au regard doux, Joe égrène ses souvenirs d’enfance, tout ce qui le traverse encore et l’empêche de vivre. La grève de la faim de Bobby Sands, puis sa mort. Les combats dans les rues. Pour Joe, ça commence quand, à neuf ans, il assiste aux obsèques de son oncle, âgé de dix-sept ans, mort d’une balle dans la tête parce qu’il était catholique.

D’une caméra rivée à son personnage, la documentariste suit ses pas, enregistre ses mots, capte sa douleur. Avec quelques voisines,  Joe remet en scène ses souvenirs, montant chez lui un cercueil pour figurer la mort de son oncle. Et lorsque Angie, qui incarne sa grand-mère à l’époque du drame, et Jolene, sa mère, se confient à leur tour, et évoquent la violence subie dans leurs couples, on voit les ravages et les conséquences dans toutes les strates de la société. The Flats ne donne pas de leçons. Le film observe, avec tendresse, empathie, respect des hommes et des femmes qui ont traversé l’enfer et en sont ressortis abîmés par l’alcoolisme, la drogue, la violence. Et debout.