Un film d’animation audacieux pour adultes. Qui témoigne autant qu’il dénonce. Qui célèbre autant qu’il interroge. Ali Soozandeh regarde son pays natal droit dans les yeux. Pour un fantasme au réalisme cru et à la poésie étouffée. Tout cela dans un premier long-métrage aux couleurs vives.
Gonflé, ce premier long-métrage. Iranien de naissance, Ali Soozandeh rend hommage à son pays natal, via une fresque qui soulève le rideau des interdits. Avec un sujet subversif, ce naturalisé allemand, installé depuis plus de vingt ans outre-Rhin, a donc choisi de filmer à distance la capitale persane. Usant du procédé de la rotoscopie, il a tout tourné en studio avec des interprètes jouant leurs scènes sur fond vert. Les décors ont été créés ensuite, les personnages redessinés, et le tout assemblé. Plus d’un an de travail de postproduction pour arriver au résultat final. Détonant. Une fluidité dans la captation corporelle. Une animation aux couleurs saturées, qui tranche avec la gamme chromatique dominante du cinéma iranien. Et pour trancher, le film tranche.
La première scène donne le ton. C’est une passe, avec une fellation en pleine voiture, en plein jour, et avec un enfant sur la banquette arrière. Téhéran Tabou raconte la face B d’une nation où la société a beaucoup cadenassé depuis la révolution islamique de 1979. Mais qui dit interdits et tabous, dit frustration, hypocrisie et système D. De nombreux subterfuges et échappatoires, qui n’empêchent pas les « mécréants » d’être révélés, et donc mis au ban d’un mécanisme collectif, où le déshonneur est vivace, fatal. Soozandeh filme la corruption, la prostitution, le sexe, le trafic de drogue, et le désir bafoué de nombreux êtres muselés et réduits à ce qu’ils ne veulent pas être ou faire. Il montre aussi l’impasse où tombe la femme si souvent, dans un monde régi par l’homme, qui veut la contrôler.
L’animation permet au cinéaste d’appeler un chat un chat, et de filmer sans entraves, justement. La jeunesse, le désir, l’émancipation. En découle un portrait saisissant et bouleversant, avec ses partis pris assumés de décrire une capitale pas forcément de 2017. On tremble pour les héroïnes et pour le musicien. On espère, on déchante, on y croit encore. Téhéran tabou, dont l’affiche française mêle avec brio l’audace d’une étreinte et la répression des ayatollahs, est aussi la déclaration d’amour d’un artiste exilé volontaire à sa terre natale, où sa famille vit toujours. Une proposition neuve qui a séduit la Semaine de la Critique en mai à Cannes, et qui fait d’Ali Soozandeh un trublion bienvenu.