C’est un lieu unique, où soignants et soignés respirent le même air. Nicolas Philibert, sans commentaire, regarde vivre les fêlés qui laissent passer la lumière. Il y a gagné un Ours d’or à Berlin.
Une péniche où se retrouvent des hommes et des femmes. Certains accueillent, d’autres sont accueillis. Dès les premières minutes, un homme sans âge aux cheveux gris, mais avec des mimiques enfantines, chante en intégralité La Bombe humaine du groupe Téléphone. Il y a comme un petit vent de folie. Les applaudissements fusent. À bord de ce bateau qui ne bouge pas, ça tangue, parfois. Certains dansent, d’autres chantent, d’autres encore disent qu’ils sont « cassés dans leur tête ». Il y a aussi ceux qui se taisent. Mais leurs yeux nous transpercent, ils plongent dans l’objectif de la caméra (à moins que ce ne soit le contraire ?) et nous atteignent en plein cœur.
L’objectif. L’objectivité. Qu’est-ce donc ? Surtout en matière de documentaire sur une unité psychiatrique de jour, où la frontière entre soignants et soignés est sans cesse traversée. Par exemple, la réunion accueillant des nouveaux venus (dont, ce jour-là, un élève infirmier) est orchestrée par deux femmes, mais les deux n’ont pas le même statut. Ce n’est ni écrit ni dit, c’est ressenti. À la manière dont la première recadre gentiment pour revenir à l’ordre du jour, tandis que la seconde pose des questions à la cantonade.
Dans ce lieu de vie à nul autre pareil, chacun peut lire, boire un café, échanger, ou se caler dans un fauteuil dans un coin. Nicolas Philibert (Être et avoir, 2002 ; La Maison de la Radio, 2012 ; De chaque instant, 2018) le filme comme il est : simple et compliqué, bruissant, vivant. Lové dans un canapé, cet homme évoque sa passion du cinéma. S’adressant au réalisateur et au chef-opérateur, cette femme s’interroge sur le matériel qu’il faut pour filmer ce documentaire (et comment le transporter !). Le vieux jeune homme du début, avec un large sourire, affirme l’impérieuse nécessité d’être médicamenté pour pouvoir parler, rester debout. Exister. Les regards sont fuyants, parfois. Ces êtres si semblables et si différents sont là devant nous. Leur force de vie est éclatante, leur douleur affleure. Le spectateur est déboussolé, chaviré sur cette péniche pourtant bien amarrée. La normalité, l’anormalité, à l’oral, ça se mélange. À l’image, ça se déploie comme une évidence. Le « vivre ensemble » est plus qu’un concept humaniste, une nécessité humaine. Sur l’Adamant ne prétend pas que c’est facile, à travers l’expérience unique de cette unité psychiatrique avec vue sur Seine, il dit juste que c’est possible.