Il est des ouvertures de films qui nous restent, nous hantent. Celle de Stupid Things en fait partie. En travelling, on suit de dos un jeune homme noir qui parcourt à vélo de petites routes de campagne. En off, sa voix répète inlassablement « stupid » : « stupid streets, stupid cars, stupid things… ». On ne sait pas encore qui est Dayveon, le personnage principal du film. Mais il suffit d’un plan-séquence et de quelques mots scandés pour être d’emblée touché par la mélancolie d’un jeune adolescent dans sa petite ville de campagne. Par la suite, on pense évidemment à Moonlight : l’histoire d’un adolescent, dont l’enfance est empreinte de tragédie, qui grandit dans sa communauté, entre rites initiatiques et histoires de gangs. Mais là où Moonlight semblait vouloir sublimer ses héros avec des couleurs Wong-Kar-Waïennes et une esthétique léchée, Stupid Things laisse ses personnages se sublimer eux-mêmes. Dans ce premier film, Amman Abbasi filme ses protagonistes à leur hauteur, avec leurs hésitations, leur insécurité – quitte parfois à les rendre désagréables. Devenir adulte dans un milieu défavorisé, bien sûr, le thème est récurrent dans le cinéma indépendant américain, et ces histoires de familles compliquées et de gangs, aussi tragiques soient-elles, sont presque devenues un stéréotype du cinéma dit « de Sundance ». Mais sans pour autant corrompre cette tradition, Abbasi la traite avec variations et originalité. D’abord, tout n’est pas tragique ou déprimant : il y a de l’amour et de la poésie qui se dégagent de cette histoire belle et simple qu’on comparerait volontiers à certains Malick. Enfin, le cadre du film se place loin des violentes banlieues qu’on a l’habitude de voir à l’écran, mais à la campagne. Dans un Arkansas qu’on connaît plutôt au cinéma traversé en voiture, dans Thelma et Louise ou Macadam à deux voies. Cette fois-ci, Amman Abbasi, lui aussi originaire de cet état rural, nous invite à nous y arrêter. Bienvenue dans une autre Amérique profonde.