De façon à la fois crue et pudique, Yaron Shani ose un rapprochement entre l’amour et le viol. Il mesure le désir à l’aune de la prostitution, et fait se confronter la pulsion de vie et la pulsion de mort. Un film radical et dérangeant.
Stripped est le dernier volet de la trilogie entamée avec Chained et Beloved. Le premier volet retrace le parcours d’un homme profondément aimant, mais rattrapé par des pulsions insoupçonnées, qui se révèlent dans leur violence tant sur le plan personnel que professionnel. À la différence de Chained, qui se concentre sur le couple, le deuxième long-métrage s’articule autour d’un autre duo – un peu moins convaincant – formé par les amies Avigail et Yael.
Le troisième volet est très intense. Malgré une première impression de confusion dans le traitement du propos, il s’avère rapidement que Yaron Shani fonctionne sur le mode de l’association d’idées. Par un scénario en forme de cercle « vicieux » qui se referme sur lui-même, il interroge les tréfonds de la violence inhérente aux relations humaines. Il scrute évidemment celle qui oppose les hommes et les femmes du fait de leur sexualité, incluant d’emblée, aux dires de Freud, l’idée « d’attentat sexuel ». Dans Stripped, le viol est envisagé comme une des formes détournées de l’amour, et la prostitution comme l’avatar d’un désir qui peine à s’accomplir. La mise en scène de la relation homme/femme se déploie de façon parfois scabreuse, dérangeante, et surtout périlleuse.
Mais les rapports de domination sont contagieux, ils ne sont pas l’apanage de la difficulté des couples. Ils peuplent le cœur des hommes de façon généralisée. Dès qu’il devient soldat, le jeune Ziv, flanqué d’une mitraillette, se découvre un comportement qu’il ne soupçonnait pas. En définitive, Yaron Shani décrit une société moderne aliénante : la douleur qui en résulte propulse les individus dans une quête de sens et de créativité rédemptrice encore désorganisée, qui va paradoxalement jusqu’à l’absurde.
La tension révélée par le procédé cinématographique est palpable, d’autant que l’accent est avant tout mis sur les émotions. Elles sont travaillées à fleur de peau par un jeu hyperréaliste, en partie improvisé par les acteurs. Le réalisateur les a voulus impliqués par leur propre histoire dans l’évolution des personnages qu’ils incarnent.
Ces émotions deviennent rapidement menaçantes et peuvent causer des dommages si on les réprime. C’est ce que l’écrivaine trentenaire, enfin considérée comme un auteur à succès grâce à un roman riche en « audacieuses descriptions d’actes sexuels », va découvrir sur sa propre chair.
Même si les trois épisodes ont été tournés simultanément, et dans le même esprit, leur unité est celle d’un propos qui se construit de façon tout à fait indépendante des différents récits. « J’essaie de pousser l’authenticité jusqu’au bout, de porter les différentes approches du réalisme à leur point extrême, sans sacrifier pour autant l’intimité et l’intensité de la fiction », explique Yaron Shani. Pour ce faire, il exige de ses acteurs de vivre la vie de ces personnages pendant toute la durée du tournage.
Le point commun des films de cette trilogie est, entre autres, cet univers MeToo, qui, en tant qu’entreprise de justice collective, est alimenté par des sentiments de vengeance contre les hommes privilégiés. À l’extrême de cette manifestation sociale et politique, chaque homme de la sphère privée se transforme en suspect potentiel, et chaque femme en une victime devant tout mettre en œuvre pour s’en défendre. Même si, dans une certaine mesure, la violence physique ancienne est en déclin, des formes de violence plus subtiles, comme les déplacements et les transferts que cet opus met en scène, émergent. C’est ce que Yaron Shani reconstruit plan par plan de façon originale et pertinente, tout en dépoussiérant une somme considérable de poncifs déjà accumulés sur la question.