Réjouissant, Straight Up de James Sweeney s’amuse à détourner les codes au travers de l’union d’un gay tenté par l’hétérosexualité et d’une actrice fantaisiste un brin intello. Un premier film surprenant et réussi.
Le plan d’ouverture est sans ambiguïté : un lit double proprement fait trône dans une chambre à coucher design tandis que le titre apparaît en surimpression, Straight Up (comprenez « directement vers le haut » avec un jeu de mots sur le sens familier de « hétéro »). Raccord dans l’axe : dans le plan suivant, un inconnu embrasse goulûment Todd, qui se laisse faire, le regard et l’esprit ailleurs, sa voix en off : « J’aimerais ne pas avoir de trous. Sans me soucier de ce qui rentre et sort, la vie serait bien plus simple ». D’entrée de jeu, le spectateur est initié au ton « incorrect » du jeune réalisateur James Sweeney, qui incarne lui-même le rôle de Todd à l’écran. Il s’ensuit un dispositif assez systématique de personnages filmés le plus souvent frontalement en champs-contrechamps. L’ensemble est nourri d’un ping-pong incessant de dialogues qui claquent, dignes des meilleures screwball comedies des années 1940-50, détournant les codes et les conventions LGBT+ de manière assez inédite.
Todd est gay et son élocution rapide, érudite, quasi névrotique, fait immédiatement penser à celle de Woody Allen. Insatiable, il soliloque chez sa psy consternée, se pose des questions sur son mal-être, sur sa solitude et s’interroge de manière fondamentale : ne se serait-il pas trompé d’orientation sexuelle ? N’écoutant que lui-même, Todd poursuit ses réflexions dans un café, dissertant à bâtons rompus face à deux amis jamais dupes. Ses arguments sont aussi fumeux qu’irrésistibles pour nier ce qui se voit comme le nez au milieu de la figure. « Non, je ne suis pas gay » conclut-il comme pris de stupeur. Le voici dès lors parti draguer en milieu hétéro tombant sur Rory, une étudiante en art dramatique (Katie Findlay, délicieuse et drolatique). Contre toute attente, leur rencontre hasardeuse donne naissance à une idylle des plus sérieuses… Le courant passe étonnamment bien entre eux jusqu’au moment fatidique d’aller « directement » au lit.
Après plusieurs court-métrages, ce premier long de James Sweeney part d’un bel éclat de rire. Bravant les difficultés de l’écriture d’un scénario original et celles liées à la production jusqu’à en interpréter le rôle principal, le réalisateur affirme un esprit d’indépendance immédiatement repérable, rompant avec la vision américaine idéaliste (et archi-rebattue) de l’amour et des sentiments romantiques au cinéma. Iconoclaste, il introduit la notion de compagnonnage dans le couple d’aujourd’hui, un lien dénué de sexualité et d’intimité physique, telle une voie neuve, un horizon à investir, à redéfinir. La gentillesse des sentiments exposés, la bonté inhérente aux deux héros aussi, leurs attitudes tour à tour lunaires ou anxieuses, parfois un peu nihilistes même, accentuent l’excentricité, l’authenticité et les aspérités de ce récit jamais lisse, toujours rafraîchissant. Drôle et cultivé, tel ce clin d’œil désopilant à La Chatte sur un toit brûlant de Richard Brooks, Sweeney sait visiblement se placer au bon endroit, pour s’amuser du « politiquement correct » et traiter avec un regard en coin de ce que les individus ont le droit (ou pas) de dire ou de faire aujourd’hui. C’est notamment ce que sous-tend cette séquence où Rory est pointée du doigt parce qu’elle a osé aborder la thématique du viol lors d’une improvisation de théâtre. Car, sous l’apparente légèreté, l’amusement et la gaieté du film, des aspects plus sombres affleurent de manière sourde : le mensonge, la peur de la rupture, l’angoisse de la solitude, les défaillances humaines de chacun. S’il est avant tout réjouissant et poilant, Straight Up sait ainsi flirter avec les limites de l’humour en restant droit dans ses bottes. Et au-delà, il nous donne à réfléchir.
Olivier Bombarda