Sonate pour Roos est le film d’un néerlandais qui examine au scalpel la relation d’une mère et de sa fille dans un décor de grand froid, la Norvège. Or sous la glace, les cœurs battent encore…
La Norvège, frigorifiée sous un épais manteau de neige, déploie des paysages naturels, horizontaux et vierges, contredits par la verticalité des forêts de pins et de bouleaux qui se dressent, immenses, dans un silence immaculé. La photographe Roos, la trentaine, débarque là, dans ce monde retranché où vit sa mère, une pianiste aussi professionnelle qu’intransigeante, et son ado de frère, fantasque et amoureux du son. Alors que la jeune femme porte en elle une information déterminante à délivrer à sa génitrice, elles tentent de renouer une communication qui s’avère très difficile, embarrassée d’affects contrariés, de souvenirs de disputes violentes et de séparations brutales…
Le troisième film du néerlandais Boudewijn Koole distille les composantes d’une minutie qui ont forgé l’itinéraire même de son auteur : le designer dont l’attention tend à l’intransigeance esthétique, joue des coudes avec le documentariste, proche de la réalité âpre des sentiments, avec un sens du détail quasi bergmanien. Les deux actrices principales, Rifka Lodeizen (Roos) et Elsie de Brauw (Louise, la mère), campent à la perfection les différences psychologiques des personnages où l’émotion parvient à percer, malgré l’épaisseur d’une banquise que l’on subodorait infranchissable. L’ensemble a pour écho cette Sonate pour Roos qui donne son titre au film, en réalité l’allegro molto moderato en fa mineur de Schubert, magnifique mélodie gelée à l’incomparable tristesse, interprétée à quatre mains au piano dans une scène mémorable du film où la fille répond volontairement appliquée à l’appel musical de sa mère, si stricte, si peu volubile, concédant à l’issue de la performance du bout des lèvres : « Schubert est sans pitié ».
Dès lors le spectateur assiste à ce combat de boucliers levés où il s’agit de faire vaciller l’autre, planqué sous une masse d’orgueil, le forcer à dire qu’il vous aime, quitte à briser la glace tel un pare-brise volant en éclat sous le poids du danger, ce dernier étant l’unique moyen pour parvenir à la capitulation, au consentement d’un lien renouvelé peu à peu. Dans la permanence de cette idée qu’il décline, emporté par la beauté du cadre et le spectre complet des possibilités du son, bouclant les enjeux d’une mise en scène presque (trop) infaillible, Boudewijn Koole réussi à fédérer les spectateurs, bousculés et transis.