Mise en scène de l’abus sexuel dans le sport sous forme de parcours initiatique d’une adolescente, ce premier long-métrage immersif est signé Charlène Favier. Un itinéraire tendu à l’esthétique impressionnante.
Dès le premier plan, la réalisatrice place son récit dans l’action et au plus près du corps. Lyz s’échauffe avec ses jeunes camarades de ski-études à Bourg-Saint-Maurice, sous la houlette de leur entraîneur. C’est l’histoire d’une fille de quinze ans qui en veut. Réussir, gagner des épreuves, remporter des médailles, la petite est prête à y aller. Et pour cela, il faut en passer par le grand manitou (« manie tout »), son coach. Exercice, alimentation, rythme, silhouette, il scrute et décide de tout. Facile donc de tomber sous l’emprise de cet ex-champion, qui intervient partout où la mère de l’ado, concentrée sur sa propre vie à Marseille, fait défaut. Même sur les effets du cycle menstruel sur la pratique sportive. L’emprise se répand et mène le jeu. Jusqu’à faire fi du consentement de la gamine.
S’inspirant de son propre vécu, sans pour autant faire de Lyz et de son parcours un double calqué sur sa biographie, Charlène Favier impressionne pour ses débuts dans le format long. Elle tient son histoire et étoffe la dénonciation, en déployant les liens complexes entre fascination et besoin, contamination et infection. L’ambivalence nourrit la construction des deux personnages et de leur relation. Pour ce faire, la cinéaste mène à bien la décennie écoulée, à filmer portraits, courts-métrages, fictions et documentaires. Aidée de son équipe, dont l’excellent directeur de la photographie Yann Maritaud, elle met en place une esthétique précise, qui magnifie la montagne omniprésente, imposante, isolante, tout en jouant d’un ballet entre chaud et froid, entre plans fixes, mouvements lents de caméra et vélocité des descentes en slalom. Le traitement du bleu, puis du rouge envahissant l’écran, et des divers sources et transits de lumière (soleil, éclairages, vitres, neige, eau de piscine) relèvent d’un méticuleux travail, qui ancre les protagonistes dans un conte moderne glaçant.
Noée Abita, révélée il y a trois ans dans Ava de Léa Mysius, regard sur une autre héroïne volontaire, irrigue le film de sa détermination angélique et frondeuse. Comme dans le court-métrage Odol Gorri de la même Charlène, elle traverse la zone dangereuse de l’abus-fascination avec un homme adulte. Elle irradie de résistance en petit chaperon rouge au corps qui endure, souffre, saigne, face aux loups réels et métaphoriques. Jérémie Renier endosse avec puissance et finesse la peau de celui qui manipule et déraille, aveuglé par lui-même. Ensemble, et avec la réalisatrice, ils donnent chair et souffle à ce trajet maîtrisé vers la résilience et la fin de l’omerta.