Simón de la montaña de Federico Luis

La traversée du miroir

Simón de la montaña est une drôle d’aventure. La révélation fascinante d’un cinéaste qui regarde de biais la réalité du monde, et offre le portrait réjouissant d’une jeunesse revigorante. Grand Prix de la Semaine de la Critique 2024 à Cannes.

Né de la question posée à Federico Luis par le véritable Pehuén du film, ami du protagoniste, pour savoir si le réalisateur avait son certificat d’invalidité, Simón de la montaña est donc une réponse par la création. Une invitation au voyage pour une fiction qui parle de capacité et d’incapacité, de regard sur la normalité et l’anormalité. Qui tente aussi de construire un espace commun où tout le monde vit ensemble, avec ses imperfections propres. Un pari fictionnel, que le jeune cinéaste argentin relève avec audace et générosité. Car son premier long-métrage invite à rejoindre sa joyeuse bande de personnages, dans une bourgade de la Cordillère des Andes, dont les décors montagnards restent souvent hors champ, si ce n’est dans l’hallucinante première séquence. Une rencontre avec des êtres perdus et une atmosphère, à ciel ouvert, entre escapade en altitude, réseau en berne, vent, brume et statue du Christ. Un souffle buñuélien plane, avec ce Simon argentin, petit héritier de l’ascète Simon du désert de Don Luis.

C’est par le gros plan que le film attrape. La caméra observe de près sans pourtant jamais traquer avec complaisance. Le réalisateur sait se placer à la bonne distance, tout en faisant corps avec celui des autres. Les regards abondent. Frontaux, mutuels, fuyants, de biais. Les enjeux de chaque scène s’accumulent, en alimentant une interrogation. Qui est ce héros-titre  et jusqu’où et pourquoi simule-t-il la différence, dite handicap ? La solution se trouve finalement dans le ressenti du voyage cinématographique, dans ce séjour drolatique au burlesque décalé, aux mouvements du cœur émouvants, aux pulsions réjouissantes. Federico Luis se moque de la morale et de la binarité qui voudrait que tout soit étiqueté selon des termes prédéfinis. Cette vision prône l’expérience du vécu comme mode de rapport au monde. L’arrivée débouche sur un changement, grâce à l’enrichissement d’avoir traversé de l’inédit, quitte à déboussoler la mère de Simón et à rendre chèvre son beau-père.

Révélé dans la section cannoise Un Certain Regard en 2018 dans L’Ange de Luis Ortega, Lorenzo Ferro épate ici par son interprétation habitée, sans user des démons de la méthode de l’Actors Studio. Il dodeline de la tête, joue de son appareil auditif et des réactions de son avatar de fiction, toujours à l’affût de la vérité mouvante de chaque moment. Il est présent, ancré dans le plan, partenaire solide et attentionné de Pehuén Pedie et Kiara Supini, véritables acteurs, et renversants en nouvel ami Pehuén et en amoureuse Colo. Pas besoin de spectaculaire pour être happé par un récit qui raconte les autres, autrement. Federico Luis s’en remet à son scénario méticuleux, coécrit avec Tomas Murphy et Agustín Toscano, à son désir de metteur en scène, et à l’écran qui embrasse celles et ceux qu’il accueille. L’entreprise a séduit le jury de la Semaine de la Critique 2024, qui lui a décerné son Grand Prix, avant de faire le tour de la planète. Une très bonne nouvelle pour le 7e art argentin, en plein marasme depuis le démantèlement de l’Institut national du cinéma par le chef d’Etat férocement anti-culture.