Dans la nuit de lumière d’un récit d’apostasie dans le Japon du XVIIe siècle, Martin Scorsese interroge la foi, la croyance et le doute en tout homme. Un questionnement universel, tout à la fois mystique et existentiel.
Un maître, un chef-d’œuvre. Silence bruisse en film majeur, saisissant et sublime. Longtemps réfléchi, pensé, mûri, il parachève un cheminement intérieur creusé en profondeur par les qualités d’introspection d’un homme de cinéma et de foi, arrivé à une sorte de perfection rêvée et idéale pour explorer, par son art, une quête d’absolu. Avec Silence, Martin Scorsese atteint à un certain état de grâce, inspiré comme jamais, versant à sa filmographie cet ouvrage à part en même temps qu’inscrit dans la trajectoire de son cinéma, sa propre histoire et sa foi personnelle.
Ce croyant non prosélyte, qui s’était dans sa jeunesse imaginé devenir prêtre, n’aura jamais été aussi loin dans son questionnement spirituel, tandis que la religion n’a cessé de traverser ses films, plus ou moins lointainement. Sans doute le plus directement religieux de tous ceux-là, Silence dépasse La Dernière Tentation du Christ, trente ans après, dans sa mise en question de la foi et de son doute, de la faiblesse de la condition de l’homme, du silence de Dieu devant la souffrance humaine et la violence terrifiante du monde.
Tandis qu’il avait été inspiré par le roman de Nikos Kazantzákis en 1988, le cinéaste américain s’empare là du roman historique de Shusaku Endo, mis entre ses mains par l’offrande amicale de l’évêque du diocèse de New York, lors d’une projection aux autorités religieuses de la ville de La Dernière Tentation. Trente ans après que le livre d’Endo a été lu et relu, travaillé par plusieurs moutures d’une adaptation complexe, son scénario exégète aboutit enfin, mise en scène du chemin de croix d’un père jésuite (Andrew Garfield, possédé et dépossédé) dans un Japon ayant condamné à la clandestinité un catholicisme interdit.
D’une durée identique, à trois minutes près, à celle de La Dernière Tentation du Christ, Silence prend le temps du récit ductile d’une guerre de religion assorti de la mise à l’épreuve de la foi, de lutte et de combat, de ce père persécuté comme l’avait été avant lui un supérieur jésuite (Liam Neeson) obligé à l’apostasie. Dans les épaisses ténèbres des persécutions religieuses, où les chrétiens japonais cachés font l’objet d’une terrible chasse aux sorcières inquisitoriales, le père entre peu à peu dans la nuit du doute. Il prend la conscience aiguë du tragique de l’homme. La voix maudite des crimes horribles perpétrés par les samouraïs contre les convertis à la foi catholique, torturés et mis à mort, le confronte à un terrible dilemme, autant moral que spirituel. Quelle grâce d’avoir la foi ! Quelle douleur d’y renoncer ! Une pensée noire et lumineuse lui apprend, dit Scorsese, « que l’amour de Dieu est plus mystérieux que ce qu’il peut en connaître, qu’il laisse aux hommes bien davantage que nous le croyons, et qu’il est toujours présent – jusque dans son silence ».
Avec ses mouvements de caméra sophistiqués, ses cadres embrassant la splendeur brute de paysages, la réalisation virtuose de ce très grand cinéma se fraie un chemin dans l’intériorité du père jésuite. Scorsese communie avec la nuit obscure de l’âme de ce personnage, sa foi nue, son doute à la dimension d’une épreuve existentielle. Au bout de son chemin de croix pourraient résonner les dernières paroles de Jésus sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Car ce grand film religieux, grand film sur l’homme, est l’écho de tous nos cris, de toutes nos souffrances, de toutes nos révoltes.