Pour bien démarrer décembre, un plongeon dépaysant en terre des Causses. De la noirceur teintée de blanc. De l’immensité pour mieux masquer les failles. Le sixième long-métrage de l’auteur d’Harry, un ami qui vous veut du bien fait des étincelles.
Dominik Moll fait un retour passionnant sur le devant de la scène, en adaptant le polar éponyme de Colin Niel, paru en 2017. L’énigme d’une mort mystérieuse, en plein hiver neigeux, dont le spectateur suit la résolution à travers une construction habile par éventail de points de vue successifs. Une proposition mitonnée par le cinéaste et son scénariste Gilles Marchand. Fructueux duo d’écriture, déjà créateur de Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming et Des nouvelles de la planète Mars, réalisés par le premier, et L’Autre monde et Dans la forêt, par le second. Un fil rouge parcourt ces films : travail de l’ambiance, de l’étrangeté, de l’opacité, et du glissement progressif vers l’abandon des repères rationnels.
Par son récit mêlant les vécus et perceptions des différents personnages, Seules les bêtes creuse l’extrême solitude de l’humanité face au désir. Vécu seul ou passé au grill de l’altérité, ce dernier se brûle aux flammes du danger. Naïveté, aveuglement, obsession phagocytent progressivement la réalité, confrontée à la virtualité qui domine le monde actuel. Même les terres agricoles sont gagnées par les sirènes du digital. De l’emprise à la manipulation, il n’y a qu’un pas, que les auteurs collent à leurs personnages, des plaines des Causses aux rues d’Abidjan. L’intime épouse aussi l’universel, à travers un télescopage Nord/Sud via les tuyaux de la toile internet et les revers de l’exploitation de l’homme par l’homme. Ambitieux ballet, auquel le réalisateur a convié un bouquet d’interprètes au poil. Déjà fan des quatuors, avec les deux couples au cœur d’Harry, un ami qui vous veut du bien et Lemming, il déplace encore les curseurs en dynamitant les duos et en en croisant les destins. Ce film noir mi-glacé mi-brûlant célèbre les émotions tendues de sa brillante galerie de visages et de corps : Denis Menochet, Laure Calamy, Damien Bonnard, Bastien Bouillon, Valeria Bruni-Tedeschi, Guy Roger N’Drin, et la confirmation de l’année, Nadia Tereszkiewicz (Sauvages, Persona non grata) excellent. Comme dans les tragédies grecques, la fatalité marque de son sceau l’être humain. Et Moll signe là une œuvre maîtresse de son parcours.