Adapté d’une pièce de théâtre, ce récit déconstruit conte une femme, une mère, une épouse. Et son passé, son futur, les gouffres et les chagrins. Entre réalité et imaginaire, vie et mort. Un beau grand film plein de secrets et de grâce.
« Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va », dit le synopsis. On a rarement vu plus énigmatique. Et le film est à la hauteur de ce mystère. Oui, « ça semble », et l’on suit cette femme, qui joue avec des polaroïds, quitte une maison endormie, prend la route à l’aube à bord d’une voiture rouge pour voir la mer. Elle s’en va. Ou bien était-elle déjà partie ? La vie dans la maison douillette continue. Reprend ? Se réinvente ? Marc, le mari, gère le quotidien ; Lucie tâtonne sur son piano, d’où émerge une version hachée de La Lettre à Élise ; Paul, encore petit, joue dans son coin. Les époux se répondent en écho. Et puis ça grippe. « C’est pas moi qui suis partie… », dit-elle. Et puis ça change. Les enfants grandissent. Du piano de Lucie s’échappent des mélopées parfaites. Il y a le printemps. Il y a l’hiver. On est perdu et cet égarement est à la fois douloureux et délicieux, car il est celui de Clarisse. Et nous sommes elle. Dans sa tête et dans son cœur. Ici et maintenant. Hier et ailleurs. Tout le récit s’en va, lui aussi…
Impossible d’en dire plus sans révéler l’essence, le vertige de ce film gigogne, la vérité de ce qui meut Clarisse, la ravage et la fait avancer. En adaptant la pièce de théâtre de Claudine Galéa, Mathieu Amalric s’approprie un parcours en zigzag, comme il avait fait sien le chemin de vie de Barbara. Il nous embarque dans un tourbillon, ici très intérieur ; il matérialise les pensées, les désirs et les peurs d’une femme au bord de gouffres insondables. « Un voyage, ça prend du temps. Il faut aller loin, très loin… » Quel voyage ? Vers la vie ou vers la mort ?
L’image de Christophe Beaucarne réussit ce prodige d’être à la fois ombre et lumière. Le montage de François Gédigier est précis, musical, jamais voyant ; c’est un impressionnant travail d’horloger. La minutie n’empêche pas la grâce d’être partout, comme la douleur n’efface jamais cette légèreté qui vous soulève parfois dans les pires moments. Serre moi fort est un film intello qui se fait organique. Il vous prend et vous emporte sur les ailes de Clarisse alias Vicky Krieps, actrice diaphane et terrienne, ordinaire et sublime, d’ici et d’ailleurs.