Remonter aux sources du groupe rap NTM, c’est aussi raconter les années 1980, en France. La vie en Seine-Saint-Denis, le libéralisme, le racisme, la violence sociale. Via l’émergence d’un mouvement artistique contestataire, âpre et joyeux.
« Quelle chance ! Quelle chance ! Quelle chance d’habiter la France ! (…) Le monde de demain, quoi qu’il arrive, nous appartient… » Ce n’était pas une révolte, c’était une révolution. La naissance du rap en France, au début des années 1980, regardée à travers les parcours du DJ Dee Nasty et du groupe 93 NTM forment, avec cette extraordinaire série en six épisodes, une saga de notre temps. Une radiographie doublée d’une reconstitution jamais empesée ni ampoulée de la société d’alors. Et d’un mouvement artistique semé de plusieurs petits cailloux.
Soudain, venus d’Amérique, la danse hip-hop, le graphe et le tag rendaient les invisibles visibles. Et les mots crachés du rap dénonçaient des drames sociaux et sociétaux d’alors (aujourd’hui, hélas, encore très vivaces). Ce vent de liberté, cette façon de rêver, de dire et d’exister – qu’on ait participé à cette vague ou qu’on soit passé totalement à côté – fait du Monde de demain un passionnant récit.
Ça commence en 1983. À la télévision, Jean-Marie Le Pen fustige les six millions d’étrangers qui « pèsent sur la France » ; dans les cités, des ados s’ennuient ; il y a des baladeurs, des casques audio avec la petite mousse orange, des coupes mulet et des blousons en jean gigantesques (qu’on ne disait pas encore oversize).
Un jeune homme gauche amoureux de la musique revient tout émerveillé d’un voyage à San Francisco ; il s’appelle Daniel, veut désormais devenir DJ, il travaillera à Carbone 14, s’appellera Dee Nasty et produira le premier disque de rap français. Dans le métro, avec ses potes, Didier Morville, l’Antillais, va chicaner Bruno Lopez, le Portugais. Mais devant les danseurs de l’esplanade du Trocadéro, où Didier vole quelques portefeuilles, les deux garçons tombent en même temps comme amoureux du hip-hop. Ils deviendront Joey Starr et Kool Shen, l’un des premiers groupes de rap français.
Le Monde de demain, c’était hier, c’est le titre d’une chanson de NTM, et pourtant les paroles résonnent très fort aujourd’hui. Et tout ce qui se raconte, de cette spontanéité, de cet élan, de cette colère aussi, qui, des quartiers à l’ombre des grandes tours, au terrain vague de La Chapelle, en passant par les pistes du Globo, ou celles de la Grange-aux-belles, ont soulevé toute une foule de jeunes gens, est vivant, authentique, emballant. Au-delà du biopic d’un des plus célèbres groupes de rap français (s’arrêtant à l’aube de la sortie du premier disque de NTM, en 1990) la série conte l’épopée d’une génération révoltée… Basé sur des heures d’entretiens avec les protagonistes, le scénario écrit par Katell Quillévéré et Hélier Cisterne est une mécanique de précision qui inclut la grande histoire aux petites. On traverse ainsi notamment la mort de Malik Oussekine et les émeutes de Vaulx-en-Velin qui ont suivi la mort de Thomas Claudio. Par la grâce et la précision de la mise en scène, les personnages existent dès qu’ils apparaissent. Nourris de détails vestimentaires et langagiers, d’attitudes bravaches et d’anecdotes justes et drôles. Justes parce que drôles. Ce sont des chemins qui se croisent à plus ou moins long terme, Daniel alias Dee Nasty et son amoureuse Béatrice, Didier, futur Joey Starr, et Bruno (bientôt Kool Shen), Virginie dite Vivi, dite Lady V… Et ces jeunes gens s’emparent des nouveaux courants, les font leurs, et deviennent des porte-voix, des étendards. Ils sont incarnés par des acteurs puissants, tous plus vrais que nature, menés par Andranic Manet, Anthony Bajon et Melvin Boomer. Grand Prix Séries Mania 2022, Le Monde de demain est une réussite totale, à la fois émouvante et drôle. Une claque.