Premier jour de l’année et déjà une pépite en salle. Une autre première. Long-métrage inaugural du parcours d’un jeune prodige chinois : Gu Xiaogang. Dépaysement garanti et cinéma au sommet de son art.
La Semaine de la Critique cannoise cuvée 2019 s’est clôturée avec ce bijou. Un premier long-métrage à la maîtrise bluffante. Tourné sur deux ans, au rythme des saisons et de la disponibilité des acteurs, souvent amateurs, et au gré d’un financement indépendant réduit. Un tour de force né de l’opiniâtreté de son jeune auteur natif de 1988 : Gu Xiaogang. Une telle vision, qu’il prévoit de filmer deux volets suivants à ce qui serait ici le premier volume d’une trilogie. Et quelle ampleur ! Les deux heures et demie de cette fresque provoquent un ravissement total. L’œuvre est inspirée d’un classique de la peinture chinoise. Un rouleau de sept mètres sur trente-trois centimètres, peint entre 1348 et 1350 par Huang Gongwang. L’éponymie relie l’œuvre cinématographique à son aînée picturale, mais aussi au fleuve qui en reste communément central, et à l’écoulement du temps.
Car la fluidité abonde. De l’eau bien sûr, filmée sans cesse le long de somptueux travellings latéraux, dans des plans-séquences saisissants par leur durée et par la captation de moments de vie. Instants suspendus, entre marche, nage et contemplation. Un art précis pour mieux décrire les ramifications d’une famille, et de ses destins entremêlés. Séjour dans les monts Fuchun parle d’humanité, du trajet existentiel que chacun vit comme il peut, dans la réussite comme dans la galère. Toutes les péripéties s’articulent autour du cours d’eau et de ses berges, qui reflètent avec force les affres de la fatalité, comme les frémissements de tous les espoirs. Les traditions ont la dent dure dans cette nation géante, à l’héritage socio-culturel imposant et aux pressions économiques ardues. La moindre transgression coûte. L’individualité est risquée. Les électrons libres en font les frais.
Le regard de Gu Xiaogang est bienveillant et mélancolique. Il rend hommage à sa région natale et à ceux qui la peuplent. À ceux de qui il vient comme à ceux qui suivront. Il reste malgré tout ouvert à l’avenir, que la suite du triptyque devrait illustrer. L’émotion esthétique se double de l’identification aux rêves comme à l’effet boomerang de la réalité. Un assemblage ambitieux, mais qui n’écrase pas tout sur son passage. La visée artistique du cinéaste n’oublie pas le cœur précieux de son travail : la vulnérabilité. Sa science de la précision la protège tout en la célébrant. Une splendeur, dont on déguste chaque seconde.