Seize Printemps, le premier long-métrage de Suzanne Lindon, esquisse le portrait d’une jeune fille déphasée, que la découverte du sentiment amoureux va faire naviguer entre deux âges. Une odyssée intérieure d’une heure et quatorze minutes traversée par la sensualité, la fantaisie et la grâce.
Suzanne (Suzanne Lindon) a seize ans et s’ennuie avec les jeunes de son âge. Un jour soudain, sur le chemin qui relie son lycée au domicile familial, son regard se pose sur un homme de trente-cinq ans (Arnaud Valois), acteur de théâtre que la motivation semble avoir déserté et qui promène sa mélancolie à la terrasse d’un café. Dès lors, Suzanne, comme aimantée par le comédien, rôde autour de son lieu de travail et se laisse peu à peu gagner par le vertige du désir naissant.
Seize Printemps est tout à la fois une histoire d’amour pudique, le portrait d’une adolescente, le récit d’un moment de vie à la fois ancré, dans le temps et dans l’espace, et atemporel (le film ne contient aucun stigmate numérique de notre époque, par exemple). Tout le charme de ce premier film réside dans la place qu’il accorde à la résonance – des émotions, des sons, des gestes – tant dans ses cadres aérés en format Scope que dans ses silences assumés. Seize Printemps est un film où l’on respire, où la caméra, agile et animale, épouse les mouvements des corps, où l’énergie circule sans heurts dans des plans-séquences aériens, où les sensations se déploient et viennent toucher le spectateur au centre du cœur.
Suzanne se sent seule même entourée, peine à trouver ses points d’appui en dehors de son cercle familial aimant (qu’incarnent les formidables Florence Viala et Rebecca Marder, toutes deux de la Comédie-Française, et le chaleureux Frédéric Pierrot). Lorsqu’elle tombe amoureuse du comédien qui répète au Théâtre de l’Atelier non loin de chez elle, elle fait une rencontre vraie, qui transcende les âges et relève tout autant de l’évidence que du mystère. Au point que les deux protagonistes, attirés l’un par l’autre, pourraient se passer de mots pour communiquer. Deux séquences dansées, dont la chorégraphie rend hommage à Pina Bausch et fait penser à Main dans la main de Valérie Donzelli, racontent cette évidence, cette communion. Ce sont deux moments d’une douceur et d’une poésie enchanteresses qui semblent dire tout bas que le miracle existe.
Cette ferveur subtile se fait sentir dès le premier plan du film. Dans sa lumière même et dans le grain de l’image, ce piqué délicat qui rend les peaux présentes au regard du spectateur. Seize Printemps est habité de références (à L’Effrontée de Claude Miller ou À nos amours de Maurice Pialat), qui sont autant de déclarations d’amour au cinéma, à cet outil magique susceptible d’offrir du relief à l’existence. Il y a, dans la clarté des images de ce film, dans ses couleurs agencées avec minutie, quelque chose qui rehausse ce qui est donné à voir et à entendre, quelque chose qui mobilise le spectateur et le rend hyper-présent à ce qu’il écoute et regarde. Les points d’appui dont manque le personnage déphasé de Suzanne, la mise en scène du film, elle, les recèle. Il en va ainsi de détails dont la caméra se régale : une trace de sirop grenadine que l’on dessine avec une paille sur une nappe de café, un stylo quatre couleurs avec lequel on se pince la lèvre, un post-it sur un miroir de loge qui suggère une tonalité (« Sc. 5, drame et comédie au rdvs ! »)… Il y a aussi tous ces gestes tendres entre les membres de cette famille heureuse, les œillades drôles et saillantes de Suzanne dignes d’un film muet, le grain de sa voix au timbre légèrement brisé, autant de points de repère qui, mis bout à bout, composent une petite musique mélancolique. Ces « fragments terrestres offerts à la lumière », pour voler les mots de Paul Valéry, le spectateur les glisse dans sa besace, le film achevé. Comme autant de petits trésors de cinéma, qui donnent envie de retrouver le dehors et de croire en son éclat.