Plongée dans l’intimité d’un homme, à la croisée des chemins existentiels, le nouveau film signé Andrew Haigh bouleverse. Parce qu’il pulvérise en douceur les frontières temporelles, et touche au plus profond de l’être humain. Avec des interprètes en état de grâce.
Tout est fantomatique dans la vie d’Adam, quadragénaire, célibataire, et orphelin depuis trente ans. Jusqu’à sa personne. Il semble s’échapper à lui-même. Scénariste de métier, il tente d’écrire sur ses parents, LE sujet sensible de son existence. Toujours meurtri par leur mort brutale, quand il avait à peine douze ans, il entame un voyage vers eux, vers son passé, vers son trauma. Au même moment, il croise l’un de ses voisins, l’esseulé et lumineux à la fois Harry, dans leur tour de verre commune d’un quartier périphérique de Londres, où la vie semble anesthésiée. Entre eux, le désir monte. Pour son cinquième long-métrage, le réalisateur britannique Andrew Haigh a accepté la proposition des producteurs Graham Broadbent et Sarah Harvey d’adapter le roman du Japonais Taichi Yamada. Édité en France sous le titre Présences d’un été, il a déjà été porté sur grand écran par Nobuhiko Ōbayashi, avec Les Désincarnés (1988), inédit en France.
Le cinéaste anglais se l’est approprié en y injectant un peu de son expérience vécue, et l’homosexualité. En tirant aussi le film vers une part plus métaphysique et lyrique, jusqu’à tourner en partie dans la maison de son enfance, en banlieue londonienne. Le brio casse-gueule de l’aventure tient à son extrême sensorialité et à son évanescence reconstituée. Sans jamais nous connaître, version francophone du titre original All of Us Strangers, travaille la réminiscence. L’impalpable. L’éthéré. Andrew Haigh charge pourtant le tout d’un réalisme qui submerge par sa force, dans la description de l’amour, et dans la sensualité ambiante, malgré la froideur des décors urbains, et la disparition continuellement à l’œuvre. Il y a une constante chez lui, dans l’exploration de la psyché, à travers la question du désir, du sentiment, et du bouleversement soudain, de la rencontre amoureuse de Week-end au bilan conjugal de 45 ans.
Sans jamais nous connaître ose le postulat de l’extra-ordinaire : retrouver ses géniteurs au même âge que soi, voire quand on les a dépassés. Dans un geste déchirant, car Adam vient en les trouvant, sur le tard, faire son deuil de leur mort, et leur demander finalement l’autorisation de vivre sa vie. Ce goût du fantastique sans spectaculaire s’avère un puissant pont pour accéder à l’émotion viscérale, pour les personnages comme pour le spectateur. Subtile manière aussi de renouer avec les grands sentiments, avec les histoires d’amour envoûtantes, et avec le mélodrame assumé, à travers la reconstitution des années de jeunesse d’Andrew Haigh. Ces années 1980, transcendées par les standards musicaux The Power of Love de Frankie Goes to Hollywood et Always on My Mind des Pet Shot Boys. La tristesse et la légèreté se donnent finement la main, grâce enfin à l’incarnation habitée d’Andrew Scott, Paul Mescal, Jamie Bell et Claire Foy. Ensemble et séparément, ils expriment une vérité sensible, dont les gestes et les regards restent intensément à l’esprit.