Quatrième long-métrage de Satyajit Ray ; il faudra attendre 1981, à savoir plus de vingt-trois ans après sa réalisation en 1958, pour que le film sorte sur les écrans de cinéma en France. L’échec de son précédent film Aparajito peut expliquer cette distribution tardive. Adaptation cinématographique de la nouvelle Jalasdhar de l‘auteur bengali Tara Shankar Banerjee, Le Salon de musique a été tourné dans le lieu même dont s’est inspiré le conte, au palais des Chondhurry au Bengale.
Tous les films de Satyajit Ray sont en bengali, langue natale du cinéaste, à l’exception du Joueur d’échecs. Issu d’un milieu d’artistes, lui-même écrivain et musicien, c’est après avoir collaboré avec d’éminents compositeurs, tel Ravi Shankar pour sa trilogie d’Apu (La Complainte du sentier en 1955, L’Invaincu en 1956, et Le Monde d’Apu en 1959) que le cinéaste écrira la musique de ses films, dans une recherche constante d’une meilleure perception du monde. Pour Le Salon de musique, le cinéaste fait appel à Ustad Vilayat Khan, qui composera une partition classique hindoustanie, les morceaux sont interprétés par d’éminents musiciens, dont Ustad Bismillah Khan avec son hautbois indien, le shehnai.
Le Salon de musique nous plonge dans un vertige mémoriel, où la passion dévorante d’un homme pour la musique le fait basculer dans la tragédie. Dès l’ouverture du film, la mort est présente. Lorsqu’un enfant meurt, c’est tout un monde qui s’effondre. Biswambhar Roy, de la caste des zamindar, est un aristocrate déchu du Bengale. Il trouve le corps noyé de son fils dans les terres inondées de son domaine abandonné. Il a sacrifié sa famille et sa fortune à sa passion pour les arts de la musique et de la danse (avec notamment l’incroyable danseuse Roshan Kumari). Survivant dans son mausolée, il n’a pas pris la mesure de la disparition de son monde. Le temps de la féodalité n’existe plus, la bourgeoisie capitaliste a triomphé.
Filmé dans un noir et blanc contrasté, à la lumière du jour, si étincelante, s’oppose la pénombre quasi mystique du salon qui accueille les longues soirées musicales. Le son du sitar innerve le film de son lancinant tempo, leitmotiv hypnotique semblant emporter tout le monde dans une transe intérieure. Seule la musique circule dans ce huis clos où les personnages alanguis se fondent dans une immuabilité mystérieuse. Rien ne vit ou n’existe en dehors de ce salon. Le film est scénographié par cet instrument à cordes, qui semble si proche de la voix humaine. En effet, Le Salon de musique est principalement composé de larges plans-séquences afin de restituer la continuité des gestes des musiciens, comme l’écoute de l’assemblée. Les dialogues sont le fait des regards traduisant bien plus l’intériorité de chacun que ne le feraient des mots articulés.
Fable cruelle sur un monde qui se meurt, Le Salon de musique est aussi et surtout pour Satyajit Ray un autoportrait saisissant en creux à travers Roy. Le cinéaste partage avec lui une sensibilité qu’il n’a cessé de transcrire dans tous ses films. Percevoir le monde avec intensité, jusque dans les frémissements de la peau, afin de le restituer dans sa beauté comme dans sa douleur.