À la fois impressionnant et refroidissant de perfection glacée, le huitième film d’Alfonso Cuarón est un objet de cinéma très intrigant, qu’on peine à embrasser en une seule fois.
Huitième film d’Alfonso Cuarón, premier après Gravity plusieurs fois oscarisé, premier film mexicain (dans une filmographie majoritairement américaine, dont un Harry Potter) vingt ans après Y tu mamá también et premier film pour Netflix récompensé par un grand festival international (Venise) : Roma est de toute évidence un film singulier dans une filmographie qui ne l’est pas moins. D’autant qu’avec son Scope noir & blanc, son sujet quasi autobiographique et ses acteurs locaux inconnus du public mondial, il fait figure de projet pour le moins audacieux, même pour un cinéaste aussi aventureux que Cuarón. Centré autour de la vie de Cleo, femme de ménage d’une famille bourgeoise dans le Mexico des années 1970, Roma est à la fois un portrait de femme, celui de classes sociales qui cohabitent sans se comprendre et celui d’un pays en plein tourment. Ambitieux et formellement splendide, Roma laisse aussi, souvent, paradoxalement indifférent. Pour un projet tellement intime (au-delà de l’aspect autobiographique du film, le réalisateur en a également assuré le montage et la direction de la photographie), Alfonso Cuarón semble avoir du mal à trouver le juste rapport à son sujet. Peut-être à cause de l’intrication de trop nombreuses thématiques ou de la distance délibérément prise par le cinéaste (de longs plans larges en panoramique inscrivent les personnages comme simples éléments d’un environnement plus complexe) : on a peine à éprouver de l’empathie pour le rude parcours effectué par Cleo, pourtant formidablement incarnée par la débutante Yalitza Aparicio. On se retrouve à entretenir avec le film un rapport admiratif et un peu froid devant un sens du rythme et du cadre impressionnants et un travail admirable de direction d’acteurs. Une seconde vision s’impose.