Chronique d’une rencontre transcendée par Gérard Depardieu et Déborah Lukumuena, le premier long-métrage de Constance Meyer a brillé en ouverture cannoise de la 60e Semaine de la Critique. Il fait mouche par sa subtilité, sa profondeur et sa douce élégance.
Il est acteur, elle est agent de protection rapprochée. Il joue, elle sécurise les périmètres. Il est septuagénaire, elle a vingt-quatre ans. Il prend souvent la fuite, elle affronte facilement les situations. Georges et Aïssa sont des colosses aux pieds d’argile, qui font connaissance un beau jour. Deux statures imposantes, que la simplicité et le rapport au monde rapprochent progressivement. Comme deux animaux, ils se flairent, s’observent, s’apprivoisent. L’une doit veiller sur l’autre. Garde du corps, chauffeur, assistante, confidente, nounou, elle devient tout à la fois. De leur proximité va naître une révélation mutuelle, et en douceur. L’une calmant l’emballement du cœur et les crises d’angoisse de l’autre. Ce dernier confiant son mantra anti-trac à la première, avant un combat de lutte.
Robuste sillonne tous les aspects de la robustesse, mais surtout la vulnérabilité tapie dans la carcasse de la solidité. Par la confrontation de deux êtres telles deux planètes se faisant face, Constance Meyer développe une belle idée de mise en lumière de l’humanité. La figure du duo de solitudes, déjà au centre de ses courts-métrages Frank-Étienne vers la béatitude et Rhapsody, s’enrichit d’une nouvelle œuvre. Avec, toujours, Gérard Depardieu dans la peau de protagonistes hors norme, confrontés à l’altérité, à la fatigue, et à la découverte d’une part d’eux-mêmes. Le film se double ainsi d’un documentaire sur ce comédien unique. Sur son corps, sa peau, son souffle, sa voix, son regard, sa biographie et sa filmographie, auxquels le scénario et la scénographie font de multiples clins d’œil, de l’accident de moto initial à la tirade finale sur un tournage de fiction d’époque.
De tous ces trop-pleins, la réalisatrice tire un long-métrage court par sa durée, fin par son écriture, élagué sur sa forme, et subtilement soigné. La simplicité apparente fourmille de précisions. Image, son, montage et mise en scène cisèlent un écrin pour cette aventure souvent située en intérieurs et dévoilant par approches successives l’intériorité des personnages. Le travail musical sur les voix fait un bel écho au timbre doux de Déborah Lukumuena. Elle rayonne de présence, d’aplomb et de sensualité discrète, face à son illustre partenaire, lui-même renversant de subtilité, dans le murmure comme dans le râle. De conversation bouleversante avec une admiratrice (formidable Florence Muller) en aveu d’attachement (« Vous voulez pas me garder encore un peu ? », dit la vedette à son ange gardien), cette chronique épate par sa description de la volonté rémanente de disparaître, et par ses impayables touches d’humour. Les regards, d’où émerge une part d’enfance, envoûtent, et le duo fonctionne à merveille. Une lente vague d’émotion recouvre ce précieux sauvetage existentiel.
Olivier Pélisson